Flore intestinale et chimiothérapie : une interaction anticancer
Le microbiote intestinal, plus communément appelé flore intestinale, peut influencer l’efficacité de la chimiothérapie au cyclophosphamide. Cette découverte surprenante a été réalisée par Laurence Zitvogel et ses collaborateurs, une équipe qui bénéficie du soutien de la Ligue dans le cadre du programme « Equipes Labellisées » (1). Inscrits dans le domaine très fécond de l’étude des interactions entre microbiote et santé humaine, ces travaux ouvrent la voie à l’optimisation des traitements des cancers employant le cyclophosphamide.
Une communauté estimée à près de 100 000 milliards d’organismes plus UN… Voilà en quelques mots comment on pourrait décrire chaque être humain. Dès la naissance, notre corps se trouve colonisé par un nombre impressionnant de micro-organismes, environ dix fois plus nombreux que nos propres cellules, qui partagent chacun de nos instants et influencent notre santé.
Le microbiote : un ensemble de micro-organismes indispensables
On qualifie de microbiote l’ensemble des populations microbiennes (bactéries, archées, champignons mais également virus) que nous hébergeons. Si chacune des parties de notre organisme (tissus, muqueuses,…) exposées à l’environnement extérieur est le siège d’une communauté microbienne particulière, c’est au niveau de l’appareil digestif que niche la colonie la plus importante. Ce microbiote intestinal, plus communément appelé flore intestinale, est en interaction permanente avec nos propres cellules mais également la nourriture et les autres substances que nous ingérons, des médicaments par exemple. L’impact de cette population microbienne diversifiée sur notre santé est tel qu’elle peut être considérée comme un organe « en plus » avec lequel nous établissons une relation mutualiste indispensable. En hébergeant ces micro-organismes, nous profitons : de leur activité métabolique - ils nous permettent de tirer parti de certains nutriments que nous sommes incapables de digérer -, d’un effet bouclier envers d’autres microbes susceptibles d’être dangereux pour notre santé ainsi que d’une stimulation de nos défenses naturelles. En d’autres termes, la composition et l’activité de la flore intestinale influencent de façon essentielle les processus digestifs, l’équilibre nutritionnel ainsi que l’immunité. Si le mutualisme entre le microbiote et son hôte est une clé de la (bonne) santé humaine, les perturbations de cette relation se trouvent associées à un vaste ensemble de pathologies, notamment celles qui sont qualifiées de « maladies de civilisation » : maladies métaboliques, maladies cardiovasculaires et cancers. L’étude de la dysbiose, c’est-à-dire l’altération de l’équilibre normal des bactéries de la flore intestinale est aujourd’hui en plein développement.
Un lien entre flore intestinale et chimiothérapie
Les travaux de l’équipe labellisée de Laurence Zitvogel s’inscrivent pleinement dans ce domaine de recherche très fécond. Ils ont montré que l’efficacité du cyclophosphamide, une des molécules les plus utilisées de l’arsenal des chimiothérapies, dépend en partie de la flore intestinale. On savait déjà qu’en plus de sa cytotoxicité, le cyclophosphamide stimule nos défenses naturelles via la mobilisation de cellules immunitaires, des lymphocytes, qui attaquent les tumeurs. Laurence Zitvogel et ses collaborateurs ont levé le voile sur un mécanisme supplémentaire d’activation du système immunitaire par le cyclophosphamide et impliquant certaines bactéries de la flore intestinale. L’administration du cyclophosphamide a pour effet secondaire de modifier l’équilibre de la flore intestinale avec pour conséquence le passage dans le sang et les ganglions lymphatiques de bactéries normalement cantonnées dans le système digestif. Cet événement, potentiellement délétère, entraîne une réaction de l’organisme sous la forme d’une réponse immunitaire dirigée contre les bactéries envahisseuses. Or, les chercheurs ont montré que cette réponse antibactérienne engendre le recrutement de nouvelles cellules immunitaires qui vont renforcer l’action de celles qui ont été préalablement mobilisées par la chimiothérapie. Au final, un effet secondaire du cyclophosphamide contribue à augmenter son activité antitumorale ! Ce résultat a été obtenu chez la souris et des études sur l’homme doivent encore être réalisées pour juger de son intérêt pour la thérapie. Quoi qu’il en soit, il suggère déjà que, lors d’un traitement, la préservation de la flore intestinale, voire son renforcement, pourrait contribuer à améliorer l’efficacité des chimiothérapies utilisant le cyclophosphamide.
(1) S. Viaud et al., Science, 2013, 342, 971-976.
(2) J. Qin et al., Nature, 2010, 464,.59-65.
LEXIQUE
Mutualisme : Le mutualisme se définit en biologie comme une interaction entre différentes espèces qui, chacune, tirent profit de cette situation.
Quelle diversité pour le microbiote ?
Des études de la diversité génétique de la flore intestinale ont mis en évidence sa diversité : plus de 1 000 espèces bactériennes différentes constitueraient le microbiote intestinal humain. Parmi ces 1 000 espèces, chacun d’entre nous en hébergerait au moins 170. De façon intéressante, la composition du microbiome intestinal est une caractéristique à partir de laquelle il est possible de différencier des groupes au sein de la population humaine (indépendamment de l’origine géographique, de l’état de santé, du sexe, ou de l’âge) à l’image des groupes sanguins. Trois groupes de microbiomes humains différents, encore appelés entérotypes, ont été identifiés (2).