Je n'imagine pas la vie sans mon père

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Francois75

Bonjour à toutes et à tous
Ce matin je me décide à écrire...
Le 4 avril 2016 après-midi, toute ma vie s'est écroulée en 1 minute. Ma mère qui habite à plus de 500 km m'appelle et m'annonce que mon père est à l'hôpital de Quimper, qu'il a eu une crise d’épilepsie en rentrant de son footing. C'est un très grand sportif, à 74 ans, il court presque tous les jours, et en grand fan de cyclisme, il parcoure près de 200 km chaque semaine, fait de la voile sur son petit bateau de 6 mètres qu'il a lui même retapé après l'avoir acheté à un ancien du coin. Mon père, c'est mon meilleur ami, on se raconte des blagues, on se charrie, et malgré la distance qui nous sépare (j'habite Paris) nous nous disons tout. Il est fort, je le respecte énormément : il ne se plaint jamais, et même avec un cancer de la prostate avancé il y a 10 ans, l'ablation d'un rein nécrosé, il a tout surmonté sans jamais nous inquiéter. Et il est toujours aussi sportif.
Ce jour là, ma mère m'a prévenu 6h après son malaise car j'avais un rdv important au travail et elle ne voulait pas m'effrayer. Ce n'était pas une crise d'épilepsie : en rentrant de son footing, il a dit à ma mère "je vais prendre ma douche", 1h s'est écoulée et ma mère trouvait cela bizarre. Elle rentre donc dans la maison, le cherche et le retrouve nu, les yeux dans le vide, assis sur le canapé, incapable de parler. Aujourd'hui encore, elle culpabilise beaucoup de ne pas être revenue plus rapidement dans la maison. Admis en neurologie car les urgentistes suggéraient un AVC, un premier scanner ou irm je ne me souviens plus, a révélé deux masses importantes au niveau du lobe temporal gauche. A mon arrivée 6h plus tard, iI parlait bien, ne se souvenait plus de son malaise, était surpris de me voir dans sa chambre d'hôpital. "Ne t'inquiète pas mon kéké (oui c'est malheureusement le surnom qu'il m'a toujours donné !), mais que fais-tu là ? Et pourquoi Omayyah (ma femme) est ici ? Tu n'es pas au bureau ?" Je lui ai répondu " tu as eu un petit accident tu sais, tout va bien maintenant, mais on doit faire des examens". 10 jours ont passé car il fallait attendre de passer un petscan. Entre temps,le neurologue du service nous a pris à part et nous a annoncés qu'il s'agissait de 2 grosses tumeurs qui se reliaient entre elles et que selon lui, c'était très certainement métastasé. Je n'y croyais pas, il n'y avait eu aucun signe avant ce malaise, aucun. Les résultats du petscan tombent : pas de métastase, c'est primaire, cad circonscrit au cerveau. Je me souviens de la froideur avec laquelle le neurologue chef de service nous a annoncés ça. C'était bref, sans explications, je n'ai pas pu sortir un mot de ma bouche pendant 5 min. L'hôpital de Quimper ne disposant pas d'un service d'oncologie spécialisé dans les tumeurs du cerveau, j'ai rapidement mis en place une stratégie dans ma tête : contacter coûte que coûte les plus grands professeurs et obtenir les meilleurs soins possibles pour mon père. Cela a été difficile car tous les secrétariats m'ont sorti le même discours "Monsieur, il faudra compter 2 ou 3 mois d'attente pour un rdv avec les professeurs X, Y, Z..." Alors j'ai cherché, cherché, cherché et j'en suis arrivé à reconstituer des adresses emails grâce aux prénoms et noms des professeurs. J'ai envoyé 50 mails en expliquant la situation, en usant et ré usant de formules pathos. Et en 2 jours seulement, j'ai obtenu une réponse, certes courte, d'un grand professeur de la Pitié Salpêtrière, le professeur Alexandre Carpentier, spécialiste des tumeurs cérébrales "Monsieur, quel âge à votre père ? Veuillez contacter ma secrétaire au...". Et là, c'était l'espoir, le grand espoir. Un tour sur Youtube avec un reportage sur ce professeur m'a redonné l'espoir. Il va sauver mon père, il a sauvé des patients de cancers incurables, mon père est fort, il va s'en sortir aussi, tout va redevenir comme avant. Tout s'est mis en place très rapidement et nous avons obtenu un rdv 4 jours après. Suite à l'envoi d'irm, de compte rendus d'hôpital, tout était ficelé, nous étions dans le bureau du professeur Carpentier. Il a regardé les irm, a parlé dans son dictaphone, cela a duré 5 bonnes minutes. Mon père, au milieu, serrait la main de ma mère et la mienne. C'était la première fois que je le voyais si émotif.
Le professeur nous a ensuite regardés droit dans les yeux et nous a dit "je vais réaliser un biopsie, j'ai besoin d'y voir plus clair". 3 jours plus tard, il a opéré mon père, 6 jours plus tard, le verdict est tombé : c'est bien primaire, il s'agit d'un glioblastome, stade IV. Inopérable, les tumeurs étant trop grosses et et situées au centre de la zone du langage. Un gros œdème recouvre les tumeurs et presse énormément sur le lobe frontal. Le professeur nous redirige alors vers un radiothérapeute en clinique, avec lequel il a l'habitude travailler. RDV pris, tout est expliqué : chimiothérapie de sauvegarde (temodal) pendant 1 semaine, puis ensuite radiothérapie et chimiothérapie concomitante pendant 3 mois.
Mon père a terminé la radiothérapie fin août, pendant un été parisien étouffant. Il a bien supporté le temodal, pas d'effets secondaires. Mais les doses de corticoïdes sont telles qu'il a déclenché un diabète de type de 2, il a perdu énormément de poids, plus de 20 kilos, son champs visuel est extrêmement réduit, et de nombreux hématomes saignants se sont formés sur ses jambes, ses bras. En octobre, une nouvelle irm a montré que les tumeurs n'avaient pas évolué mais que l’œdème avait énormément grossi. En décembre, mon père est tombé dans le coma 24h, l'œdème a doublé, les médecins ont parlé "d'engagement". Depuis, c'est 140mg de cortisone par jour, plus tous les autres médicaments (kepra, glucophage, insuline, etc.). Il ne mange presque plus, et dort quasiment tout le temps.
C'est un cauchemar, oui un véritable cauchemar, cette maladie est le diable. Elle ronge mon père tous les jours un peu plus, et nous avec. La peur de la nuit, la peur du lendemain. Mon père est chez lui avec ma mère. Je vais le voir toutes les 2 semaines pendant 2 semaines. J'ai l'impression de ne plus avoir de vie amoureuse (avec ma femme), plus de vie sociale. Plus rien n'a bon goût. Tout le monde m'énerve. Je ne pense qu'à une seule chose, le prochain moment où je serai auprès de mes parents. Aider ma mère, faire la cuisine, accompagner mon père à la salle de bain, le forcer à se lever et à marcher quelques pas, le laver, lui brosser les dents. Lui raconter des blagues, lui parler de tout et de rien. Tous les jours au réveil, il dit qu'il ne veut plus continuer comme ça. Qu'il veut tout arrêter. Mais nous avons déjà tout arrêté : il n'a pas continué la chimiothérapie car l'oncologue le trouvait trop faible. On essaie de réduire les doses de cortisone mais c'est tellement long. Un demi comprimé toutes les semaines, mais il en est à 7, et rien qu'un demi comprimé provoque des changements, négatifs. Ce n'est pas une vie, j'ai l'impression que mon père est un animal de laboratoire...
Je pense à lui jour et nuit, je n'arrive plus à aller au bureau, par chance j'ai un employeur compréhensif qui a traversé cette épreuve il y a longtemps. Mais nous sommes tous différents, et nous réagissons tous différemment, avec notre histoire, nos relations familiales. Je l'ai déjà dit mais mon père, c'est également mon meilleur ami. Je ne peux pas supporter de le voir comme ça. J'aime également ma mère de tout mon cœur et je m'inquiète tellement pour elle. Elle a envisagé les soins palliatifs à domicile sur les conseils de l'oncologue mais refuse de lâcher un peu prise, elle veut s'en occuper à tout prix, elle refuse de voir quelqu'un. J'ai même fait venir une conseillère sociale à domicile, mais en vain.
Je sens que je perds pieds, un peu plus chaque jour. Aujourd'hui, je me suis décidé à accepter de l'aide : je pense consulter un psychiatre spécialisé dans ce type de situation. Est-ce la bonne décision ? Et après, que va t-il se passer ? En quoi peut-il m'aider ? Comment refaire surface ? Comment se projeter ? Comment vivre sans mon père ? Ces mêmes questions reviennent.
François

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Dr A.Marceau

Bonjour François,
Merci pour ce témoignage, aussi long qu'émouvant.
La perspective de perdre un être aussi proche qu'un père ou qu'une mère, surtout quand on a tissé avec lui ou elle des liens d'étroite complicité, est en effet difficilement supportable. Et quand ce départ est précédé d'une lente agonie, le drame est encore plus difficile à supporter. Mais on le sait tous, un jour viendra où un parent décède puis le second, c'est le cycle de la vie, on n'y peut rien. Le choc est toujours terrible et un long travail de deuil se fait ensuite, au terme duquel, sans rien oublier, on s'habitue à vivre autrement, sans cet être cher disparu.
Vous avez raison d'envisager de vous faire aider si la vie vous semble actuellement difficilement supportable. Vous pouvez faire appel à ce psychiatre ou à un psycho-oncologue. Vous pouvez aussi trouver un soutien au Comité départemental de La Ligue le plus proche de chez vous.
On vous souhaite bon courage,
Bien cordialement
Dr A.Marceau

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Francois75

Merci Docteur pour votre réponse.
Je suis conscient du cycle de la vie mais c'est trop tôt, c'est trop rapide. Tant de choses à partager encore.
Le sentiment même si on est extrêmement proche de ne pas s'être dit les bons mots, au bon moment.
Pour le psychiatre j'appréhende énormément car c'est la 1ere fois de ma vie que j'envisage une telle consultation. Je ne sais pas comment ça se passe, la peur de tout ressasser et de se retrouver en larmes encore une fois.

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Dr A.Marceau

Bien sûr, je comprends très bien, un décès survient toujours trop tôt. Parfois, on perd son père bien avant qu'il atteigne 74 ans. Mais j'en conviens, ce n'est pas une consolation...
N'hésitez pas à aller au Comité de La Ligue, vous y trouverez des personnes qui vivent le même type de drame que vous, cela apporte du réconfort de pouvoir partager ses sentiments, son chagrin avec d'autres qui vous comprennent car vivant la même chose.
Bien cordialement
Dr A.Marceau

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AC34

Bonjour François,
Votre témoignage a plus de deux ans mais j’ai tellement été émue par celui ci que je tenais à vous le dire.
Je parcours ce forum car on a diagnostiqué un cancer du pancréas à mon père il y a environ deux semaines et il est déjà très mal en point...
Avez-vous consulté un psychiatre spécialisé comme vous le souhaitiez ? Avez-vous pris contact avec le comité de la ligue ?
Si oui est-ce que cette démarche vois a aidé ?
En espérant que vous lirez ce message...
Bien à vous

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Francois75

Bonjour,
Je viens d'être notifié de votre message. Effectivement, il datait... et mon père nous a quittés quelques semaines après (fin février 2017). Je suis sincèrement désolé pour votre père, j'espère qu'il est pris en charge de la meilleure façon.

Je n'ai finalement pas consulté un psychiatre spécialisé...pour tout vous avouer j'ai été incapable pendant quelques temps de prendre la moindre décision. En revanche, à peu près 1 an après le décès de mon papa j'ai contacté la Ligue car je ressentais le besoin de m'investir concrètement. J'ai donc assisté à une réunion de présentation avec d'autres bénévoles, pendant laquelle nous avons tous fait un tour de table (qui sommes-nous, pourquoi sommes-nous là, que souhaitons-nous faire concrètement).

En effet, il y a beaucoup de façon d'aider la Ligue et mon souhait était d'être un soutien aux proches qui se rendent à des séances de chimio et/ou radio pour discuter avec eux, les diriger, patienter avec eux, leur apporter à manger ou à boire, etc. des choses très simples mais finalement très humaines. J'ai également pensé à être visiteur à domicile de patients seuls ou dont les proches souhaitent la présence de quelqu'un extérieur, mais cela est bcp plus dur car on se prend tout de plein de fouet dans la figure.

Bref...après réflexion suite à cette réunion, j'ai senti que je n'étais pas vraiment prêt, pas suffisamment solide pour apporter cette aide. C'était trop tôt. J'y repense souvent et envisage de recontacter la Ligue à ce sujet.

En tout cas si je peux vous être d'une aide quelconque, n'hésitez pas à me contacter.

Je vous souhaite beaucoup de courage et de force pour lutter aux côtés de votre père.
François

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