Bonjour Alix,
Votre témoignage m'a ému, bien sûr je ne peux pas vous dire ce qui est le mieux à faire. J'ai été également dans ce dilemme cornélien.... L' éloignement (7 heures de route) et la culpabilité quand je repartais...de la laisser si mal ... je ne compte pas les aller retour (je me demande comment je n'ai pas eu d'accident !...) Être là, ne pas être là...... cela a duré plusieurs mois.
Lors de mon énième retour vers elle, un matin elle m'a appelé dans son "demi coma" j'ai reçu l'appel de l'infirmière et me suis précipitée pour être avec elle, elle est morte plusieurs heures après, dans mes bras. Finalement ce n'est pas moi qui ai choisi, et je ne regrette rien, ces derniers moments ensemble ont été très doux et fort en même temps.
Je vous embrasse et pense bien à vous
Sylvie
Bonjour et désolée d'avance pour la longuer de mon texte...
Ma mère a eu les premiers symptômes de son cancer en septembre 2022 (vision double). Après des mois d'errance médicale (consultations en opthalmo, endocrino, ORL, neuro, prises de sang, scanners, IRM, ponction lombaire, biopsie - oui oui, même après la première biopsie, on ne savait toujours pas ce que c'était), le diagnostic tombe officiellement en juin 2023 après une seconde biopsie : carcinome épidermoïde localisé à la base du crâne et ayant infiltré plusieurs nerfs crâniens. A ce moment-là, elle est déjà aveugle d'un oeil, dont la paupière est en permanence fermée depuis janvier, et la moitié droite de son visage a perdu toute sensibilité.
Vu la localisation et l'étendue, c'est inopérable. Elle commence la protonthérapie en juillet, pour 33 séances. Je quitte mon lieu de vie (le Canada) et mon travail pendant 2 mois pour l'accompagner durant cette période. Je repars de France mi-septembre. Prochain rdv avec l'oncologue prévu 2 à 3 mois plus tard pour voir si la protonthérapie a fait effet, car avant ça "c'est trop tôt". Au moment où je quitte ma mère, elle a perdu de la motricité au niveau d'un pied et montre des signes de faiblesse au niveau de la jambe. Elle marche avec une canne mais elle reste autonome pour le quotidien à la maison. On a seulement mis des aides ménagères en place pour l'accompagner faire ses courses puisqu'elle ne peut plus conduire. Elle a rdv en neuro et en rhumato pour sa jambe. Personne ne se mouille ni ne semble s'affoler.
Très vite, les choses se dégradent. Je vous passe les détails, mais elle finit par perdre l'usage complet de ses deux jambes et est hospitalisée en oncologie novembre. Lésion découverte au niveau d'une vertèbre, mais ce n'est pas ça qui explique la paralysie selon les médecins. Ils commencent une chimio. J'arrive en France le 26 novembre. Ma mère est dans un état pitoyable. Elle a perdu énormément de poids (déjà pas épaisse à la base), elle a une moitié du visage affaissé, l'autre moitié paralysée, un oeil est tout le temps ouvert et l'autre est tout le temps fermé, son visage et sa bouche sont déformés, elle est globalement méconnaissable. En la voyant comme ça je ne comprends pas, je demande à rencontrer l'oncologue et je demande à quoi sert cette chimio ?? Elle me dit "pour essayer de stabiliser la maladie". Je réponds : "la stabiliser dans cet état ? prolonger sa vie dans cet état ? pourquoi ? pour moi, c'est de l'acharnement". Le mot est sorti tout seul. L'oncologue finit par me dire qu'elle est d'accord avec moi. Elle me dit aussi que l'IRM montre que ma mère a une méningite carcinomateuse. Aucune suprise pour moi, ça fait des mois que j'ai lu des articles médicaux et que je pressentais que ça finirait comme ça, avant même qu'on ait confirmation que c'était un cancer.
La méningite carcinomateuse c'est l'arrêt de mort, je le sais. A ce moment-là, je me mets en mode combat, l'objectif étant de préserver la dignité de ma mère. Et pour moi, ça passe par "pas d'acharnement". Ils arrêtent la chimio la semaine suivante et elle est transférée en soins palliatifs le 8 décembre. Je suis soulagée, on va enfin lui foutre la paix et l'accompagner dignement. Etant donné que les médecins sont incapables de me donner une "durée", je décide de rentrer au Canada malgré tout. Ca fait deux semaines aujourd'hui.
Je sais que son décès est imminent, mais je n'arrive pas à me résoudre à revenir à son chevet avant sa mort. Je suis fille unique, mon père est décédé en octobre 2022. Je prends un antidépresseur depuis mars. J'ai fait le choix de me préserver en rentrant chez moi, en l'abandonnant durant ses dernières semaines de vie. J'ai atteint le stade où "j'ai hâte que ça se passe" car je n'en peux plus. Je n'en peux plus de cette torture mentale, de cette attente dont l'échéance est inconnue, de ces adieux interminables. Je n'en peux plus de voir ma mère dans cet état lors des appels visio (effectués par les soignantes), c'est insupportable. Elle n'est pas encore inconsciente mais elle n'est plus vraiment consciente. Elle est très somnolente mais elle réagit encore quand on la stimule. Elle a des propos incohérents mais elle est encore capable de me dire "bisous, fille" quand on raccroche. Je n'en peux plus de ce dilemme cornélien qui me torture. Je me sens égoïste, j'ai peur de regretter, mais d'un autre côté, l'idée de retourner en France et de la voir mourir à petit feu m'est insupportable. J'ai besoin d'être dans ma routine, de maintenir un équilibre dans ma vie pour ne pas sombrer dans la folie.
Tout le monde me dit que j'ai déjà fait beaucoup, que j'ai été présente quand il le fallait, mais comment savoir si je ne vais pas être poursuivie par des regrets pendant toute ma vie ? La culpabilité de ne pas y aller ou la détresse psychologique de vivre son agonie à ses côtés ? Pour l'instant je vais "bien", je crois que la distance m'aide à me protéger, mais ne vais-je pas m'effondrer encore plus après ?
Si d'autres ont vécu ou vivent une situation similaire, je crois que ça me ferait du bien d'échanger...
Un grand merci à ceux et celles qui ont eu le courage d'avoir tout lu et qui me répondront.