Le programme « Douleurs et cancers »
Il est estimé qu’un patient sur deux atteint ou ayant eu un cancer souffre de douleurs chroniques et que 10 à 15 % des patients traités présentent des douleurs rebelles. À cela se rajoutent des inégalités de prise en charge liées au lieu de vie, aux étapes de la maladie, etc.
L’évaluation et la prise en charge des douleurs liées aux cancers et leur traitement constituent un véritable enjeu de santé publique qui doit être mieux appréhendé.
La Ligue et le programme « Douleurs et cancers »
Le soutien de la Ligue
Si la Ligue a déjà financé des projets de recherche contre les douleurs associées au cancer principalement dans le cadre de son soutien à la recherche clinique, elle a souhaité aller plus loin en lançant en 2022/23 un nouveau programme de soutien à la recherche et l’innovation associant :
- le Prix Axel Kahn « Douleurs et cancers », qui valorise des recherches, des progrès, des réalisations qui permettent de mieux connaitre, traiter et prendre en charge les douleurs associées aux cancers. Voir ici pour en savoir plus sur la première édition et les lauréats 2022 du prix Axel Kahn.
- un appel à projets, « Lutte contre les douleurs liées aux cancers », destiné à financer la recherche et l’innovation.
L’appel à projets « Lutte contre les douleurs liées aux cancers »
La première édition de cet appel à projets a été lancée en 2023 afin de financer des projets d’une durée de 1 à 5 ans focalisés sur deux objectifs majeurs :
- l’amélioration de la qualité de vie des patients par la réduction des douleurs à toutes les étapes de la maladie et après les traitements terminés ;
- la réduction des inégalités de prise en charge à toutes les étapes de la maladie et après les traitements terminés.
L’ambition de cet appel à projets est de soutenir une recherche novatrice se déclinant sur cinq axes thématiques principaux recouvrant à la fois les approches cliniques ou sociétales et la recherche fondamentale :
- malade et soignant face à la problématique de la douleur (postures relationnelles, représentations des patients et soignants incluant leur évolution sociétale ; évaluation du vécu et/ou de la qualité de vie ; analyse des inégalités de prise en charge ; etc.) ;
- évolution des outils d’évaluation de la douleur (révision/adaptation des méthodologies d’évaluation en fonction de l’évolution des thérapies ; auto-évaluation ; typologies des douleurs dues à la maladies et induites par les traitements ; etc.) ;
- évaluation de l’efficacité des traitements et de leur tolérance (optimisation de la prise en charge des douleurs induites, rebelles et séquellaires ; facteurs biologiques prédictifs de réponse et de tolérance ; adaptation des traitements ; etc.) ;
- soutien aux dispositifs/réseau d’accompagnement et/ou de formation des soignants pour une prise en charge sécurisée (amélioration de l’accès aux centres de référence ; optimisation des modalités de délivrance des traitements antidouleur en dehors de l’hôpital ; etc.) ;
- mécanismes physiopathologiques de la douleur (mécanismes biologiques, identification de nouvelles voies, médiateurs et cibles, etc.).
Lutte contre les douleurs liées aux cancers
28 propositions de projet ont été déposées en réponse à la première édition de cet appel à projets ouvert en janvier 2023.
Le Conseil d’Administration de la Ligue, réuni le 10 octobre 2023, a approuvé sur proposition du Conseil Scientifique National, le soutien de 8 projets sélectionnés par une commission d’évaluation ad-hoc.
Le montant du financement de ces projets s’élève à 2,64 millions d’euros sur une période de 2 à 4 ans. Des résumés simplifiés de ces projets sont consultables ci-dessous.
Résumés simplifiés des projets de recherche soutenu dans le cadre de l’appels à projets « Lutte contre les douleurs liées aux cancers »
APIS : évaluation de l’efficacité d’un programme d’activité physique adaptée personnalisé sur les douleurs musculo-squelettiques induites par l’hormonothérapie dans le cancer du sein
Marion CORTET Service de Gynécologie-Obstétrique, Hôpital de la Croix-Rousse, Hospices Civils de Lyon, Lyon
Près de la moitié des femmes ménopausées prenant des inhibiteurs d’aromatase pour prévenir le risque de rechute de leur cancer du sein abandonnent ces traitements à cause des douleurs musculo-squelettiques et des pertes de densité osseuse qui peuvent leur être associés. Une réduction de ces effets indésirables pourrait améliorer l’observance et in fine limiter le risque de rechute. Si le bénéfice de l’activité physique adaptée pour la santé globale des femmes suivies pour un cancer du sein est validé, les caractéristiques optimales de l’activité physique adaptée à la prévention des douleurs musculo-squelettiques n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation scientifique. Le projet porté par Marion Cortet doit combler ce manque et vise à démontrer l’efficacité de l’activité physique adaptée initiée précocement et à déterminer les meilleures conditions de sa mise en place dans le parcours de soin.
SerCABOt : évaluation de traitements des douleurs persistantes après une mastectomie
Vincent GARCIA, Direction de la recherche clinique et de l’innovation, Centre Oscar Lambret, Lille
La chirurgie du cancer du sein peut être la source de douleurs neuropathiques modérées à sévères qui surviennent quelques mois après l’opération et peuvent durer des années. Si, un traitement oral de ces douleurs est recommandé en première intention, son efficacité est inconstante et il peut être mal toléré. Un traitement local au moyen d’un patch (capsaïcine 8%) est recommandé en deuxième intention mais son efficacité reste peu étayée. D’autres traitements locaux, comme l’anesthésie locorégionale (Serratus Plane Block (SPB)) et la toxine botulique A, pourraient potentiellement soulager la douleur sur plusieurs semaines mais les données sur leur efficacité manquent. Le projet de Vincent Garcia évaluera pour la première fois l’efficacité et la tolérance de ces trois traitements de seconde intention dans un essai clinique de phase 2. A terme, ces travaux pourraient contribuer à la conception d’un traitement de la douleur neuropathique post chirurgicale intégrant plus d’options thérapeutiques.
Un rôle des acteurs de l’immunité cellulaire dans le contrôle de la douleur cancéreuse ?
Gilles MARODON, Centre d'Immunologie et Maladies Infectieuse, Inserm U1135, CNRS ERL 8255, Sorbonne Université, Paris
Si la douleur et l’inflammation sont des phénomènes étroitement liés, les mécanismes cellulaires et moléculaires qui sont au cœur de cette association restent mal connus. Des recherches menées au Centre d'Immunologie et Maladies Infectieuse ont identifié chez l’animal des cellules immunitaires, des lymphocytes T régulateurs (ou Treg), dont l’activité contribuerait à réduire la perception de la douleur engendrée par la croissance tumorale. Les Treg ont pour fonction de supprimer les réponses immunitaires excessives et leur présence au sein des tumeurs est généralement associée à un mauvais pronostic dans la plupart des cancers. Ces cellules pourraient également masquer la douleur tumorale en produisant des molécules, des peptides opioïdes endogènes, se liant aux récepteurs opioïdes dans le système nerveux. Le projet porté par Gilles Marodon devrait permettre de mieux comprendre les phénomènes impliqués et aboutir à un modèle du rôle des Treg dans la perception de la douleur liée au développement cancéreux.
Évaluation d’un nouveau candidat-médicament contre les douleurs induites par la chimiothérapie du cancer
Séverine MORISSET-LOPEZ, Centre de Biophysique Moléculaire, Orléans
Plus de 60 % des patients recevant une thérapie anti-cancéreuse souffrent de neuropathies périphériques induites, avec pour principaux symptômes l’apparition de troubles sensitifs : douleurs, fourmillements, sensations d’engourdissement,... Il en résulte une forte dégradation de la qualité de vie qui peut dans certains cas conduire à une diminution des doses et des cycles de chimiothérapie, voire à un arrêt du traitement. Aujourd’hui, les traitements de référence de première intention de la douleur neuropathique induisent eux-mêmes de nombreux effets indésirables et sont souvent mal tolérés par les patients. Le projet porté par Séverine Morisset-Lopez vise à évaluer le potentiel thérapeutique, préventif ou curatif, d’un nouveau candidat-médicament ciblant le récepteur à la sérotonine dans deux modèles précliniques de douleurs neuropathiques induites après traitement par la vincristine ou l’oxaliplatine.
La Capsaïcine à 8 %, un traitement curatif efficace des douleurs induites par la chimiothérapie aux taxanes ? Pour quels patients ?
Marie PECHARD, Inserm U-987, Groupe Hospitalier Ambroise Paré, AP-HP, et Institut Curie
Le projet porté par Marie Péchard vise à déterminer si un traitement par capsaïcine 8% des douleurs induites par les taxanes peut améliorer la densité et les propriétés fonctionnelles des petites fibres nerveuses de façon corrélée au soulagement. L’étude sera réalisée sur 50 femmes traitées pour un cancer du sein auxquelles un traitement des douleurs sera donné de façon aléatoire. Elle devrait également permettre de vérifier pour la première fois si les effets du traitement sont stables ou s’améliorent avec la répétition des applications, conférant à ce traitement un potentiel curatif comparativement aux autres thérapeutiques. L’identification d’un ou plusieurs biomarqueurs permettant de mieux prédire la réponse thérapeutique pourrait aussi découler de cette étude avec à la clé la possibilité d’envisager une prise en charge plus individualisée des patientes atteintes de douleurs neuropathiques induites par les taxanes.
CANoPY : prédire la vulnérabilité à la douleur chez les patients diagnostiqués d’un cancer pour améliorer la prise en charge
Gisèle PICKERING, Inserm 1405, UMR Neurodol 1107, CHU Clermont-Ferrand
Si de nombreux facteurs associés au développement de douleurs chroniques ont été identifiés chez les patients souffrant de cancer, il reste difficile pour le clinicien d’appréhender ce risque. Réalisée avec 17 Centres français de Lutte contre le cancer, l’objectif de cette étude observationnelle portée par Gisèle Pickering est de valider et d’optimiser un score prédictif du développement de la douleur établi lors de travaux antérieurs. L’évaluation sera réalisée dès le diagnostic sur une population de 500 patients et 125 volontaires sains, hommes et femmes, sur plusieurs types de cancers. En permettant d’anticiper le risque de douleur chronique, l’utilisation de ce score pourrait déboucher sur une orientation très précoce et individualisée de la prévention et de la prise en charge de la douleur afin de préserver au mieux la qualité de vie des patients lors du traitement de leur cancer.
Étude de mécanismes communs à la douleur induite par la chimiothérapie et la progression du cancer
Natalia PREVARSKAYA, Inserm U1003, Villeneuve d'Ascq
La progression de cancers du pancréas ou du côlon est souvent associée au développement d’une douleur intense et la chimiothérapie de ces cancers induit elle-même des effets secondaires graves telle la neuropathie périphérique chimio-induite. Une même voie favoriserait ces douleurs différentes. Les douleurs dues aux chimiothérapies seraient liées à une dérégulation des canaux ioniques TRPM8, V1, V4, A1 ou Piezo2, fortement exprimés dans les neurones des ganglions de la racine dorsale et les neurones moteurs entériques inhibiteurs. Toutefois, les mécanismes associant cette dérégulation à la neuropathie périphérique chimio-induite et à la sensation de douleur restent mal compris. Le projet porté par Natalia Prevarskaya étudiera le rôle des canaux ioniques nocicepteurs dans les mécanismes communs aux douleurs liées à la chimiothérapie et associées à la progression du cancer. Une meilleure compréhension de ces phénomènes pourrait déboucher sur des pistes de traitements antidouleurs co-administrables lors des chimiothérapies.
Une molécule thérapeutique innovante pour soulager les douleurs liées aux cancers
Stéphanie VENTEO, Inserm U1298, Institut des Neurosciences de Montpellier
La prise en charge des douleurs liées au cancer et ses traitements est un enjeu de santé publique auquel il reste difficile de répondre en raison de l’inefficacité des antalgiques classiques. Les médecins sont donc démunis face aux patients en souffrance et l’identification de nouvelles cibles et stratégies thérapeutiques est aujourd’hui essentielle. Une molécule thérapeutique innovante qui permet de soulager, sans effet secondaire, de manière spectaculaire et durable des douleurs chroniques de type neuropathique et inflammatoire chez le rat a récemment été développée à l’Institut des Neurosciences de Montpellier. Le projet porté par Stéphanie Ventéo consistera à évaluer in vivo, chez l’animal, la capacité de cette molécule à supprimer la douleur due au cancer ainsi que la douleur induite par les traitements. Transposable à l’homme, son utilisation pourrait constituer à terme une nouvelle option de traitement des douleurs associées au cancer.
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