Faire avancer la recherche

Cancer du pancréas : la personnalisation du traitement

Le cancer du pancréas reste très difficile à prendre en charge et son traitement ne bénéficie pas encore d’une véritable personnalisation. Les résultats de travaux soutenus par la Ligue pourraient toutefois changer la donne. Présentés lors de l’ASCO 2024, et publiés dans Annals of Oncology, leurs résultats montrent qu’il est possible de prédire la sensibilité individuelle des patients aux protocoles de chimiothérapie pour adapter au mieux leur prise en charge[1].

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chimio cancer pancréas

En quoi consiste le projet ?

Dans sa forme la plus courante, l’adénome pancréatique, constitue aujourd’hui un véritable problème de santé publique. Jadis rare, le cancer du pancréas est en constante augmentation depuis quelques décennies à l’échelle de la planète. L’évolution est telle qu’il pourrait s’imposer comme la deuxième cause de mortalité par cancer dans l’Union européenne à l’horizon d’une dizaine d’années.

Le défi du juste traitement

La préoccupation est majeure car le cancer du pancréas pose à l’oncologie un double défi : la maladie, difficile à diagnostiquer, est détectée à un stade métastatique une fois sur deux, et les traitements dont nous disposons aujourd’hui restent d’une efficacité limitée. Ainsi, on estime que seulement 1 patient sur 10 est encore en vie cinq ans après le diagnostic.

La nature intrinsèque de la maladie explique pour une part importante les difficultés auxquelles se heurte son traitement. Ses formes sont très diversifiées, hétérogènes, et son évolution clinique comme sa sensibilité aux traitements sont en conséquence très variables. La survie de certains patients se limite à quelques mois alors que d’autres survivent au-delà de 5 ans. Aujourd’hui, le traitement du cancer du pancréas ne prend pas en compte cette diversité de la maladie. Les caractéristiques moléculaires de la tumeur ne sont pas intégrées dans les choix thérapeutiques et seul l’état général du patient, sa capacité à tolérer le traitement, guide le choix des oncologues.

Quand les signatures s’expriment

Les travaux publiés dans Annals of oncology pourraient contribuer à changer cette situation puisqu’ils décrivent le développement d’un outil permettant de prédire la sensibilité des patients aux protocoles de chimiothérapie, gemcitabine et mFOLFIRINOX, actuellement utilisés après la chirurgie du cancer du pancréas. S’appuyant sur l’intelligence artificielle cet outil, dénommé « Pancreas-View », intègre plusieurs signatures moléculaires* spécifiques de la sensibilité aux différentes molécules de chimiothérapie ainsi que les caractéristiques du microenvironnement tumoral*. Il a été testé et validé à partir des données rétrospectives de 343 patients inclus entre dans l’essai clinique PRODIGE-24/CCTG PA6, promu par Unicancer. Les résultats de ces travaux montrent que les patients ayant reçu le traitement adapté à la sensibilité de leur tumeur, telle que déterminée par Pancreas-View, présentent une survie globale bien supérieure, environ 3 fois plus élevée, comparativement aux autres.

Prédiction d’avenir

Ces résultats doivent encore être confirmés dans le cadre d’études prospectives. Toutefois, Ils montrent déjà que Pancreas-View pourrait contribuer à optimiser le traitement du cancer du pancréas. En effet, par sa capacité à prédire la sensibilité des patients, cet outil devrait améliorer l’efficacité des traitements tout en limitant leur toxicité, deux objectifs cardinaux de la médecine personnalisée du cancer.

Cancer du pancréas, quels traitements ?

Le pronostic et le traitement du cancer du pancréas sont liés au degré d’extension de la tumeur. L’association chirurgie – chimiothérapie est le traitement de référence des tumeurs opérables (absence de métastase et d’envahissement artériel ou veineux). La chimiothérapie donnée après le traitement améliore la survie globale et sans récidive. La chimiothérapie par mFOLFIRINOX, une combinaison de plusieurs molécules, donne les meilleurs résultats mais elle est réservée aux patients présentant un bon état général pour les patients plus fragiles, la gemcitabine est privilégiée pour sa moindre toxicité. 

Les tumeurs non-métastatiques en « limite d’opérabilité » peuvent faire l’objet d’un traitement, dit alors « néoadjuvant », permettant de réduire la taille de la tumeur pour envisager sa chirurgie. La chimiothérapie ainsi que la radiothérapie peuvent être mises en œuvre à cette fin.

Les tumeurs métastatiques ou localement avancées sont traitées par chimiothérapie puis éventuellement par radiothérapie. Depuis 2020, certains patients peuvent également être éligibles à une thérapie ciblée, l’ollaparib, si leur tumeur présente une caractéristique particulière : des mutations dans les gènes BRCA1 et BRCA2. Le nombre des patients concernés est très faible, ces mutations n’étant retrouvées que dans 0,5 à 2 % des cas. 

Lexique

Signature moléculaire
Microenvironnement tumoral
KRAS
Signature moléculaire

Une signature moléculaire est comparable aux informations listées sur une carte d’identité, elle permet d’identifier une tumeur en fonction de certaines de ses caractéristiques comme, par exemple, la sensibilité à un traitement ou encore l’agressivité. Elle est établie en identifiant les gènes dont l’expression est étroitement liée à la caractéristique étudiée. Ainsi, une fois une signature moléculaire de sensibilité au traitement établie, la recherche de celle-ci sur des prélèvements tumoraux permet de déterminer quel patient pourra effectivement bénéficier d’un traitement donné avec le maximum d’efficacité.

Microenvironnement tumoral

On conçoit aujourd’hui les tumeurs comme des écosystèmes complexes composés de cellules cancéreuses mais aussi de cellules normales qui forment ce qu’on appelle le microenvironnement tumoral. La recherche a montré que les échanges entre les cellules cancéreuses et les cellules du microenvironnement jouent un rôle fondamental dans l’évolution des tumeurs et notamment leur capacité à résister aux traitements anticancéreux.

KRAS

KRAS est une oncoprotéine, c’est-à-dire une protéine dont la mutation favorise l’apparition d’une tumeur. KRAS s’impose comme une des oncoprotéines les plus fréquemment altérées dans les tumeurs solides. On estime aujourd’hui que près de près de 90 % des patients touchés par le cancer du pancréas sont porteurs de mutations affectant KRAS. Les activités procancéreuses de KRAS sont multiples : promotion de la prolifération, de la survie, de l’évasion immunitaire, etc. De telles caractéristiques en font une cible de choix, mais longtemps le développement d’inhibiteurs de KRAS est resté sans succès. Ce n’est plus le cas depuis quelques années avec l’arrivée de molécules pouvant cibler spécifiquement des mutations particulières de la protéine.

Quatre questions à Nelson Dusetti

Nelson Dusetti est co-responsable du département Recherche translationnelle et thérapies innovantes (Translate-It) au Centre de Recherche sur le Cancer de Marseille. Il codirige avec Juan Iovanna l’équipe « Recherche translationnelle et thérapeutique dans le cancer du pancréas » (Inserm UMR 1068, CNRS UMR7258), soutenue par la Ligue depuis 24 ans. Les travaux qu’il a présentés à l’ASCO 2024 sur le développement et la validation de signatures moléculaires assistées par l’intelligence artificielle pour la personnalisation du traitement du cancer du pancréas ont également reçu le prix Unicancer « Recherche et innovation 2023 ».

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Nelson Dusetti chercheur

1) Pourquoi le cancer du pancréas n’a pas encore bénéficié des progrès thérapeutiques qui ont grandement amélioré la prise en charge de cancers majeurs comme ceux du sein, du poumon ou du côlon ?

Nelson Dusetti : Le cancer du pancréas présente des défis uniques sur les plans clinique et biologique.

 

D’un point de vue clinique, le diagnostic précoce du cancer du pancréas est particulièrement difficile. Les symptômes ne se manifestent souvent qu’à un stade avancé, ce qui réduit considérablement les options thérapeutiques disponibles et diminue les chances de succès des traitements. Ce retard dans le diagnostic complique la gestion de la maladie et limite les possibilités d'intervention précoce.

Sur le plan biologique, le cancer du pancréas se caractérise par une agressivité marquée. Les cellules cancéreuses ont une grande capacité à envahir les tissus voisins et à se propager rapidement. De plus, le microenvironnement tumoral, avec son stroma dense et fibreux, joue un rôle clé dans la résistance aux traitements. Les cellules cancéreuses développent également des mécanismes adaptatifs qui leur permettent de se protéger contre les chimiothérapies et les thérapies ciblées, rendant le cancer du pancréas particulièrement difficile à traiter.

En ce qui concerne la recherche, la faible incidence du cancer du pancréas par rapport à d’autres cancers majeurs se traduit par une quantité limitée de matériel tumoral pour les études scientifiques. Cette rareté ralentit les progrès dans la recherche et la découverte de traitements spécifiques. Par conséquent, il est fréquent d'appliquer des traitements développés pour d’autres types de cancers au cancer du pancréas, ce qui peut s’avérer inapproprié en raison des caractéristiques biologiques spécifiques de ce cancer.

Enfin, pendant longtemps, le cancer du pancréas a bénéficié de moins de financements par rapport à d'autres cancers, et l’industrie pharmaceutique a montré peu d’intérêt pour ce cancer si difficile à traiter. Heureusement, une prise de conscience croissante des enjeux liés au cancer du pancréas conduit à une augmentation des financements et de l’attention accordée à ce problème de santé publique majeur.

2) Comment la recherche translationnelle s’attaque-t-elle à cette problématique ? Quelles sont les pistes d’amélioration ?

N.D. : La recherche translationnelle est essentielle pour transformer les découvertes scientifiques en traitements concrets pour les patients.

Tout d'abord, les technologies de pointe, comme le séquençage de nouvelle génération, permettent d'analyser les cellules tumorales avec une grande précision. L’analyse en cellule unique, par exemple, aide à examiner les différentes sous-populations présentes dans une même tumeur. Parallèlement, d’autres techniques permettent de localiser avec précision les molécules exprimées dans la tumeur, offrant ainsi une vue détaillée des interactions entre les cellules cancéreuses et leur environnement. Ces approches, que nous employons dans notre équipe et nos projets, permettent d'identifier des biomarqueurs potentiels pour prédire la réponse des patients aux traitements. 

En outre, les signatures moléculaires que nous avons développées sont particulièrement importantes. Non seulement elles optimisent les chimiothérapies actuelles, mais permettent aussi de personnaliser les traitements qui avaient été précédemment testés mais abandonnés en raison de leur efficacité limitée à une partie des patients. Si nous parvenons à identifier les patients susceptibles de bénéficier de ces traitements, même si le pourcentage est faible, cela pourrait transformer la gestion des options thérapeutiques disponibles. La Ligue contre le cancer des Bouches-du-Rhône finance actuellement un de nos projets « Fight Cancer » en ce sens. Ces signatures ouvrent également la voie à l’intégration de nouveaux traitements en développement, en facilitant une sélection plus précise des thérapies selon les caractéristiques moléculaires spécifiques de chaque patient. Cette capacité à adapter les traitements grâce à l'analyse moléculaire représente un avancement majeur pour la prise en charge du cancer. Nous explorons également dans notre équipe des projets visant à affiner encore plus cette personnalisation en examinant plus en détail les sous-populations de cellules tumorales, ce qui nous permettra de cibler les traitements de manière plus précise.

Par ailleurs, de nombreuses thérapies ciblées et immunothérapies sont en cours de développement pour surmonter les mécanismes de résistance. Par exemple, les inhibiteurs de KRAS* ciblent des voies de signalisation cruciales pour la survie des cellules cancéreuses et montrent des résultats prometteurs. En outre, des recherches se poursuivent sur des thérapies innovantes, telles que les vaccins contre le cancer et les anticorps monoclonaux.

Enfin, une collaboration renforcée entre chercheurs, cliniciens et institutions est essentielle pour faire avancer ce domaine. En France, le réseau FRAP (French Research Network Against Pancreatic Cancer) récemment labellisé par Institut National du Cancer, coordonne les efforts des centres hospitalo-universitaires et des centres de recherche. Ce réseau optimise l’utilisation des ressources, soutient des projets ambitieux et facilite l’intégration des avancées scientifiques dans les essais cliniques, répondant ainsi aux besoins des patients.

3) Quelles sont les étapes qui restent à franchir pour que les travaux que vous avez présentés à l’ASCO - et dans les pages d’Annals of Oncology - modifient et améliorent les pratiques aujourd’hui en cours dans le traitement du cancer du pancréas ?

N.D. : La prochaine étape cruciale est la validation prospective de ces signatures moléculaires. Actuellement, notre équipe de recherche translationnelle est impliquée dans deux essais cliniques en cours pour cette validation : l’essai PacSign, financé par la Ligue contre le cancer et promu par l’Institut Curie sous la direction de Cindy Neuzillet, et l’essai GemSign, sous la promotion de l’Institut Paoli-Calmettes et la responsabilité du Dr Emmanuel Mitry. Un troisième essai clinique, NeoPredict/Prodige104, est prévu pour novembre de cette année, sous la promotion de l’Institut Paoli-Calmettes et la responsabilité du Dr Brice Chanez.

Ces essais prospectifs sont essentiels pour confirmer l'efficacité et l'applicabilité clinique des signatures moléculaires. Une fois validées, la prochaine étape sera leur exploitation industrielle pour les rendre accessibles en pratique clinique. Cela implique de s'assurer que les signatures soient disponibles dans tous les centres de traitement contre le cancer, à un coût qui les rend accessibles et, surtout, remboursables par notre système de sécurité sociale.

Pour atteindre cet objectif, la société Predicting Med a été créée en 2021. Basée à Marseille, cette société est chargée de mettre en place une plateforme de séquençage et d’analyse des échantillons tumoraux. Elle pourra fournir les résultats en seulement 10 jours ouvrables après réception des échantillons. Predicting Med, partenaire de deux des essais cliniques (GemSign et NeoPredict/Prodige 104), est une spin-off de l'Institut Paoli-Calmettes, et elle joue un rôle clé dans l’évolution des signatures pour une application clinique étendue.

4) La Ligue a été pionnière dans le développement de la recherche sur la génomique des cancers en France avec la mise sur pied et le financement du programme Cartes d’Identité des Tumeurs®. Comment ce programme a-t-il joué un rôle moteur pour les recherches que vous menez actuellement et peut-on dire qu’il a contribué au succès concrétisé par « Pancreas-view » ?

N.D. : Le programme Cartes d’Identité des Tumeurs® (CIT) a joué un rôle crucial dans l’avancement de nos recherches sur le cancer du pancréas. En 2012, nous avons lancé l’essai clinique PaCaOmics, visant à créer une cohorte de modèles précliniques pour étudier ce cancer en laboratoire. Ces modèles ont été exposés à divers traitements, ce qui nous a permis de réaliser des chimiogrammes et de déterminer leur sensibilité ou résistance à chaque médicament.

Pour aller plus loin, nous avons couplé cette approche à une analyse moléculaire approfondie, permettant d’identifier les groupes de molécules associés à la sensibilité aux traitements. La gestion de l'immense volume de données générées nécessitait une expertise bio-informatique, et c’est là que le soutien du CIT est devenu indispensable. Grâce à la participation de Rémy Nicolle, bioinformaticien du CIT, nous avons pu traiter ces données complexes et identifier la caractérisation moléculaire des tumeurs comme un facteur clé pour prédire la réponse aux traitements. Cela a conduit au développement des premières signatures, appelées GemPred, qui permettent d’évaluer la sensibilité à la gemcitabine chez les patients opérés.

Après la fin du programme CIT, notre équipe de bio-informaticiens au Centre de Cancérologie de Marseille a continué le travail initié au CIT et développé Pancreas-View. Cette signature est désormais la plus avancée pour évaluer la sensibilité à tous les traitements actuellement utilisés en France. Elle est applicable à tous les types de tumeurs pancréatiques, qu’elles soient opérables ou non.

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