Mélanome uvéal : quand le cancer frappe l'œil
Corine Bertolotto (Inserm U1065, C3M, Nice) est une spécialiste de l’étude des mécanismes responsables de la formation des mélanomes. Son expertise dans ce domaine lui a valu de recevoir la Médaille Fritz Anders 2022, un prix décerné par la Société européenne de recherche sur les cellules pigmentaires. L’équipe de recherche dirigée par Corine Bertolotto est labellisée par la Ligue depuis l’année 2020 pour un projet concernant le mélanome uvéal. Certains de ses résultats récents permettent de mieux comprendre la capacité de ce cancer à métastaser et permettent d’espérer une prise en charge plus adaptée.
En quoi consiste le projet ?
Le mélanome uvéal est la tumeur de l’œil la plus fréquente chez l’adulte. Un traitement comme la protonthérapie, une forme de radiothérapie extrêmement précise, permet d’éliminer cette tumeur et de préserver l’œil. Toutefois, malgré cela, près de la moitié des patients développent des métastases dans les 15 ans qui suivent la prise en charge, très majoritairement au niveau du foie.
Les malades chez lesquels le mélanome uvéal s’est propagé survivent rarement longtemps en raison en raison de l’efficacité limitée des thérapies aujourd’hui disponibles. La recherche sur le mélanome uvéal est donc aujourd’hui confrontée à un double défi : trouver des biomarqueurs* permettant d’identifier de façon sûre les patients à risque de métastase et ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques dans l’espoir de traiter plus efficacement la forme métastatique de la maladie.
Les recherches menées par Corine Bertolotto ont pour ambition de répondre à ces deux questions en étudiant les tumeurs de mélanome uvéal au niveau de la cellule unique. Elles ont abouti récemment à l’obtention de plusieurs résultats remarquables[1] :
- le mélanome uvéal présente « une hétérogénéité intratumorale ». En d’autres termes, une tumeur de mélanome uvéal est constituée de plusieurs populations de cellules cancéreuses différentes ;
- il est possible d’identifier au sein de ces populations un contingent de cellules minoritaires mais possédant la capacité de métastaser ;
- l'expression d’un gène particulier, dénommé, HES6 joue un rôle essentiel dans la dissémination métastatique du mélanome uvéal et pourrait constituer une cible thérapeutique.
Ces résultats devraient déboucher sur la mise au point d’un outil permettant un pronostic plus fiable de la maladie en identifiant les patients présentant un risque accru de métastases. Ils esquissent également une nouvelle opportunité thérapeutique avec le ciblage d’un mécanisme étroitement lié à la formation des métastases.
[1] C. Pandiani et al. Cell Death Differentiation
Le résumé du projet en vidéo
Quelques notions
On diagnostique chaque année en France environ 500 à 600 cas de mélanome uvéal, encore appelé mélanome oculaire. Comme son nom l’indique les tumeurs de mélanome uvéal dérivent des mélanocytes (comme les mélanomes de la peau), des cellules pigmentaires constitutives de l’uvée, une membrane l’œil. Il existe plusieurs types de traitements en fonction des cas, la curiethérapie, la protonthérapie ou encore la chirurgie, outre l’efficacité, la préservation de l’œil est un paramètre important de la prise en charge. L’équipe de Corine Bertolotto travaille en collaboration étroite avec le service d’ophtalmologie du CHU de Nice qui est un des deux centres français de référence pour le traitement des cancers oculaires.
Il s’agit d’une caractéristique biologique qu’on peut mesurer comme, par exemple, la tension artérielle ou le taux de CRP (une protéine dont la présence trahit une inflammation). La valeur d’un biomarqueur, recoupée avec d’autres informations, renseigne sur l’état de santé de la personne chez laquelle on l’a mesuré. Plusieurs biomarqueurs sont associés aux cancers, ils peuvent correspondre à la concentration d’une protéine ou à la présence d’une caractéristique génétique particulière. Selon les cas, la mesure de biomarqueurs pertinents apporte une information essentielle pour le diagnostic, le pronostic et le traitement des cancers.
Vue de loin, une mosaïque constitue une image uniforme. Observée de près, elle se révèle composée d’un grand nombre de fragments qui peuvent partager des caractéristiques semblables, comme une couleur, mais également se différencier fortement au niveau de leur forme. Depuis le début des années 2010, la recherche sur le cancer a montré que les tumeurs peuvent être à l’image d’une mosaïque, c’est-à-dire constituées de plusieurs populations de cellules pouvant plus ou moins se ressembler mais également présenter des caractéristiques très différentes. C’est cette diversité au sein d’une même tumeur qui est appelée par les chercheurs l’hétérogénéité intratumorale. Or, lorsqu’il existe une grande diversité de populations de cellules au sein d’une tumeur, la possibilité qu’une de ces populations puissent résister à un traitement donné se trouve fortement augmentée. Ainsi, dans un grand nombre de cancers, l’hétérogénéité intratumorale permet d’expliquer l’origine de l’agressivité tumorale et l’échec des traitements.
Corine Bertolotto, porteuse de projet
Corine Bertolotto, porteuse de projet
Corine Bertolotto dirige depuis l’année 2009 l’équipe « Biologie et pathologies des mélanocytes » au Centre méditerranéen de médecine moléculaire à Nice (Inserm/Université Côte-d’Azur). Elle est aujourd’hui l’une des meilleures spécialistes de la biologie des mélanocytes, les cellules responsables de la pigmentation cutanée dont la transformation est à l’origine des mélanomes.
Ses travaux ont permis l’identification de mécanismes jouant un rôle fondamental dans la transformation cancéreuse des mélanocytes et la résistance au traitement du mélanome. Les recherches de Corine Bertolotto ont été récemment primée par l’Académie Nationale de Médecine (Prix Henry et Mary-Jane Mitjavile 2022) et l’Académie des Sciences (Prix Dandrimont-Bénicourt - Fondation de l’Institut de France 2021).
Son projet soutenu par la Ligue porte sur une forme rare de mélanome affectant l’œil, les mélanomes uvéaux qui touchent 500 à 600 personnes par an en France. Les résultats obtenus par Corine Bertolotto et son équipe ont permis d’identifier une signature moléculaire prédisant le risque d’évolution de la maladie vers une forme métastatique, une évolution qui peut survenir chez 50 % des patients malgré un traitement réussi de la tumeur primaire. C’est une avancée de première importance car elle permet d’envisager un suivi personnalisé des patients les plus à risque afin d’adapter au mieux leur prise en charge. Les travaux de l’équipe ont également mis à jour plusieurs vulnérabilités, plusieurs talons d’Achille des cellules cancéreuses qui pourraient être exploitée pour développer de nouveaux traitements.