Par Linda Taormina – illustration Anne Cresci.
Comment soulager les douleurs ?
La douleur est l’une des sensations les plus redoutées par les patients suivis pour un cancer. Non prise en charge, elle est destructrice pour le malade et son entourage, et entraîne avec elle des répercussions psychiques, sociales, personnelles, environnementales, cognitives…, qui diminuent l’efficacité de la prise en charge oncologique, réduisent le pronostic et demandent plus d’effort pour combattre la maladie. « Un patient qui a mal ne mange plus, ne dort plus. Bien souvent, il se laisse abattre, se replie sur lui-même », constate le docteur Laurent Labrèze, médecin généraliste et algologue à l’institut Bergonié à Bordeaux, un établissement labellisé « centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) » par l’agence régionale de santé (ARS). Dépistage et prise en charge précoce doivent donc être faits, sans attendre que la douleur devienne chronique, de façon à ne pas réduire les marges de manœuvre et d’efficacité des traitements. « La bonne nouvelle, c’est que nous avons à disposition des produits et des techniques, avec de nouvelles approches complémentaires, qui ont fait leurs preuves », ajoute t- il. Encore faut-il les connaître. Nombre de patients ne savent pas que des consultations et des centres spécialisés, répartis un peu partout en France, existent. Heureusement, leur prise en charge s’améliore, grâce notamment à l’essor des soins de support (comme l’activité physique adaptée ou le soutien psychologique), cette branche médicale qui replace le patient au cœur de sa vie sociale, professionnelle et familiale.
Vous avez dit douleur ?
Pour bien comprendre la douleur, il faut déjà pouvoir la décrire. L’une des définitions de référence, parmi les plus citées, est celle de l’International Association for the Study of Pain (IASP) : « La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle, ou décrite en des termes évoquant de telles lésions. » Si la douleur est si difficile à définir, c’est simplement parce que le ressenti est différent pour chacun. Elle agit à la fois sur le physique et le moral. Être malade ne veut pas dire souffrir inutilement. « La douleur devrait toujours être signalée, évaluée et traitée », indique le docteur Labrèze. En effet, l’évaluation d’un patient douloureux est une étape fondamentale dans le processus de prise en charge. Elle va conditionner la mise en route d’un plan personnalisé de soins. « Cette évaluation doit être rigoureuse et nécessite beaucoup de temps », souligne- t-il. Règles graduées, dessins, questionnaires…, différents outils ont été créés pour faciliter la démarche. Associés à un examen clinique et des examens d’imagerie, ils aident à la localisation et à la détermination de la cause de la douleur. Dans 70 % des cas, elle est provoquée par la maladie elle-même, quand la tumeur touche ou comprime une partie sensible du corps. Dans 20 % des cas, elle est liée aux traitements contre le cancer. Les douleurs postopératoires, par exemple, sont très fréquentes, mais de mieux en mieux maîtrisées. De même, les douleurs liées aux chimiothérapies et à la radiothérapie sont connues, et une série de conseils et de traitements préventifs permettent d’éviter la majorité de ces douleurs. Elles peuvent également être occasionnées par des examens médicaux ou des soins. « Si elle est régulière, l’évaluation de la douleur permet d’adapter les traitements et de la soulager au mieux », explique le docteur Labrèze. La plupart du temps, elle disparaît quand on en supprime la cause. Si elle dure plus de trois mois, malgré un traitement antidouleur, on parle de douleur chronique. Elle ne joue plus alors le rôle de système d’alarme du corps et un traitement adapté doit être proposé.
Des progrès restent à faire
Aujourd’hui, la douleur est encore trop souvent négligée et mal traitée. « Souvent, les patients douloureux qui s’en plaignent sont entendus, mais pas écoutés, déplore-t-il. Il faut donc commencer par croire le patient quand il dit qu’il a mal. Et bien sûr, le prendre en charge, quitte à passer la main à un spécialiste si besoin. » En outre, alors que le nombre de patients croît continuellement, certaines structures spécialisées dans la douleur sont menacées, en raison du prochain départ à la retraite des médecins qui les ont fondées et du risque que ceux-ci ne soient pas remplacés, faute de candidats formés à la médecine de la douleur. « La formation devrait débuter dès le 1er cycle, puis tout au long des 2e et 3e cycles des études médicales », suggère le docteur Labrèze. Enfin, le renforcement des équipes est indispensable. « Aujourd’hui, 120 000 patients en cancérologie sont douloureux, et nous ne sommes que 200 à 300 spécialistes de la douleur en France, s’exclame-t-il. Il faut donc impérativement renforcer les consultations de proximité, mais aussi donner les moyens aux médecins qui veulent s’impliquer. »
À lire
Douleurs & cancers,guide de prise en charge des douleurs chez les patients atteints de cancer, ouvrage coordonné par le Dr Laurent Labrèze, éditions Expressions santé, 2018.
Qu’est-ce qu’un algologue ?
Médecin ou soignant (infirmier, psychologue, physiothérapeute…), l’algologue est le spécialiste de la prise en charge de la douleur. Il s’inscrit dans une approche globale pour mieux connaître le malade. Son rôle consiste à évaluer qualitativement et quantitativement sa douleur par un entretien approfondi, un examen clinique et parfois des examens complémentaires, afin d’en déterminer le mécanisme et d’adapter ainsi le traitement antalgique. Cette spécialité fait l’objet d’un enseignement universitaire, aboutissant à l’obtention d’un diplôme ou d’une capacité.
« À l’issue du premier entretien, un programme d’activités est choisi en partenariat avec le malade. »
Professeur Dominique Jaubert, oncologue et président du Comité de la Ligue de Gironde
Le rôle de la ligue en tant qu’association de patients
Parmi ses quatre missions sociales, la Ligue contre le cancer agit en faveur des personnes malades. Pour cela, elle a mis en place des Espaces Ligue, ces lieux d’écoute qui accompagnent, informent, aident à recouvrer un bien-être et à se reconstruire. Chaque année, ils accueillent 40 000 patients. Dans ce cadre, le Comité de Gironde met à disposition une offre complémentaire pour le prolongement des soins en dehors du milieu hospitalier et des consultations spécialisées. « Activité physique adaptée, psychologie, réflexologie plantaire, sophrologie, ostéopathie, relaxation, méditation en pleine conscience… Autant de soins de support proposés gratuitement dans le cas spécifique de la douleur », indique le professeur Dominique Jaubert, oncologue et président du Comité de Gironde. Les bénéficiaires sont adressés par leur médecin, les soignants, psychologues et assistantes sociales de l’établissement de soins, mais viennent aussi spontanément prendre contact. « Le premier entretien d’accueil est capital, car il va permettre d’évaluer où en est la personne dans son parcours de soins, à quel moment elle arrive au sein du dispositif et quels sont les principaux points sur lesquels elle souhaite une amélioration (fatigue, douleur…) », explique-t-il. À l’issue du premier entretien, un programme d’activités (au nombre de trois) est choisi en partenariat avec le malade. Il est prévu qu’il revienne nous voir pour que l’on fasse le point sur sa situation et il peut être envisagé un second programme adapté aux nouveaux besoins identifiés.
Des solutions existent
Différentes techniques sont utilisées pour soulager la douleur. Associées, elles permettent de prendre en compte ses deux dimensions, psychologique et physique, et d’avoir un traitement adapté.
Les médicaments
Les plus utilisés sont les antalgiques. Du paracétamol à la morphine, ils sont classés en trois paliers selon leur force d’action. Les douleurs neuropathiques liées à une lésion du système nerveux sont traitées par antidépresseurs ou antiépileptiques. D’autres médicaments, comme les corticoïdes, peuvent compléter le panel des substances analgésiques. Bien sûr, les traitements anticancer réduisent les douleurs qui y sont liées en agissant sur la tumeur.
Les techniques comportementales
En véritables soins de support, la psychothérapie et les approches psychocorporelles (hypnose médicale, méditation de pleine conscience, relaxation, sophrologie, toucher-massage, psychomotricité…) redonnent aux patients un rôle actif.
Les techniques physiques
LA KINÉSITHÉRAPIE intervient en oncologie dans le cadre de soins de support. Ses trois principes fondamentaux sont la prévention, la rééducation et la réadaptation.
LA NEUROSTIMULATION ÉLECTRIQUE consiste à utiliser un courant électrique de faible tension, transmis par des électrodes placées sur la peau, afin de soulager la douleur.
Les techniques de radiologie interventionnelle
LA CIMENTOPLASTIE consiste à injecter un ciment acrylique à travers un trocart osseux dans un os fragilisé par des métastases ou un myélome, afin d’assurer sa consolidation et de contrôler les douleurs.
LA RADIOFRÉQUENCE utilise un générateur de courant alternatif qui permet de chauffer les tissus via une électrode insérée directement dans la tumeur.
LA CRYOTHÉRAPIE consiste à appliquer par sonde un froid intense pour détruire les tissus. L’effet antalgique est souvent immédiat.
L’anesthésie
L’ANESTHÉSIE LOCORÉGIONALE (ALR) s’intègre dans le cadre d’une stratégie de prise en charge multimodale des douleurs chroniques réfractaires aux traitements antalgiques.L’ANTALGIE INTRATHÉCALE consiste à délivrer des antalgiques dans le liquide céphalorachidien. Cette technique permet de diminuer les doses d’opioïdes, leurs effets secondaires indésirables et d’en augmenter l’efficacité.