Le droit à l’oubli progresse. Une loi ouvrant l’accès à l’assurance emprunteur sous conditions pour les anciens malades du cancer est en cours d’adoption. Explications.
Si, après avoir vaincu le cancer, le retour à la vie normale est théoriquement possible et souhaitable, la réalité est souvent tout autre et peut parfois ressembler à un véritable parcours du combattant… Aux difficultés physiques, professionnelles, sociales et affectives s’ajoute un obstacle de taille pour ceux qui souhaitent acquérir un bien immobilier par exemple. En effet, même plusieurs années après un cancer, la maladie reste un frein majeur pour accéder à l’assurance emprunteur, sésame obligatoire quand on souhaite contracter un prêt, notamment immobilier. Refus catégoriques ou surprimes exorbitantes sont souvent les réponses formulées aux anciens malades. Scandalisées par cette situation, les principales organisations concernées par le cancer – la Ligue contre le cancer, l’Institut national du cancer (INCa) – ont investi pleinement ce sujet. C’est ainsi que l’instauration d’un droit à l’oubli figure parmi les mesures emblématiques du Plan cancer 2014-2019. L’idée : permettre à un ancien malade de ne plus avoir à déclarer son cancer, passé un certain délai après la fin de ses traitements. Acté dans un protocole d’accord signé le 24 mars au siège national de la Ligue par le président de la République, le ministre des Finances et des Comptes publics, la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, la présidente de la Ligue contre le cancer, ainsi que des représentants d’assurances, de mutuelles, d’établissements de crédit et d’associations de malades, le principe du droit à l’oubli a été inscrit dans le projet de loi santé par les députés, le 10 avril dernier. Parallèlement, la signature de l’avenant à la convention AERAS (S’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) devrait avoir lieu début septembre. Ce droit, revendiqué par la Ligue depuis dix ans, permettra aux personnes ayant eu un cancer et qui en sont guéries d’améliorer leurs conditions d’accès aux emprunts et aux assurances.
Le droit à l’oubli : pour qui ?
Le droit à l’oubli s’appliquera sous les mêmes conditions que le dispositif existant : le montant du prêt n’excédera pas 320 000 euros et le candidat ne devra pas être âgé de plus de 70 ans à la fin du prêt. D’autre part, seuls certains profils d’anciens malades pourront en bénéficier. Parmi eux, les personnes ayant été traitées pour un cancer pédiatrique, c’est-à-dire avant l’âge de 15 ans. Cinq ans après la fin de leur protocole thérapeutique, ces anciens malades ne seront plus obligés de signaler leur cancer au moment de contracter une assurance emprunteur. « Si cette mesure ne concerne qu’une frange de nos candidats à l’assurance ayant contacté Aidéa, elle signe la première réparation d’une injustice majeure : celle de l’adulte portant toute sa vie le poids d’un cancer contracté – mais aussi guéri –, alors qu’il était enfant », précise Medhi Aslam, conseiller technique à la Ligue contre le cancer. Autre catégorie d’anciens malades concernés par le droit à l’oubli : les adultes ayant dépassé une durée significative (on parle de quinze ans) après la fin de leur protocole de soins. « La plupart des futurs emprunteurs qui nous ont contactés à ce sujet considèrent cette durée encore longue », ajoute Franck Daveau, conseiller technique à la Ligue.
Un texte évolutif
Tenant compte des spécificités de chaque cancer, ce projet de loi comporte également l’instauration d’une grille de référence, établie à partir de données épidémiologiques fournies par l’INCa. Régulièrement actualisée en fonction des avancées scientifiques, elle précisera les types de cancer qui pourront ouvrir droit à l’assurance emprunteur à un tarif normal, et sans exclusion de garantie, dès lors que la date de fin de traitement aura cessé depuis un nombre d’années inférieur à quinze ans. L’avenant à la convention AERAS, née en 2007 sur les bases d’un dispositif existant depuis 1991, permettra de créer les conditions de mise à jour de cette grille. Par ailleurs, les équipes médicales devront penser à délivrer un document attestant de la date de fin de protocole thérapeutique, sésame indispensable pour évaluer la prise d’effet du droit à l’oubli. Et pour accompagner les anciens malades dans leur démarche, Aidéa, un service de la Ligue contre le cancer (voir encadré), propose un soutien pour que chacun puisse connaître ses droits et détermine la meilleure stratégie.
Aidéa, un service pour aider les malades à y voir plus clair
Premier service associatif en France totalement dédié à l’assurabilité. Fort de son expérience avec plus de 16 000 dossiers traités depuis sa création par la Ligue contre le cancer en 2006, Aidéa s’adresse à des personnes qui sont ou ont été affectées par la maladie et qui ont rencontré des difficultés pour obtenir une assurance emprunteur dans le cadre de leur prêt.
Aidéa est un service de conseils, d’information et de recherche de solutions, qui est assuré par deux conseillers techniques pour l’ensemble du territoire national, en incluant les DOM-TOM.
Gratuit, anonyme et confidentiel, Aidéa est accessible du lundi au vendredi, de 9 h à 19 h, au 0 800 940 939 (service & appel gratuits).
Quelles maladies auront droit à l’oubli ?
Mis en place pour le cancer, le protocole instaurant le droit à l’oubli devrait s’ouvrir à d’autres maladies. Celles-ci devraient respecter plusieurs critères, comme le fait d’être stabilisées et de faire l’objet de données objectives et fiables. Pour identifier ces maladies et créer leurs grilles de référence, un groupe de travail se réunira à la rentrée 2015. Celui-ci sera composé de représen-tants d’assureurs, des pouvoirs publics, mais aussi d’associations telles que le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), dont la Ligue contre le cancer est membre.
Le 24 mars 2015, un protocole d’accord instaurant un droit à l’oubli a été signé au siège de la Ligue, à Paris, pour améliorer les conditions d’accès aux emprunts et aux assurances des personnes guéries d’un cancer. Parmi les signataires (de gauche à droite) : Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics ; Emmanuel Constans, président du Comité consultatif du secteur financier ; François Hollande, président de la République ; Jacqueline Godet, présidente de la Ligue contre le cancer ; Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, mais aussi des représentants d’assurances, de mutuelles, d’établissements de crédit…
ECLAIRAGES
« Ce protocole est un pas vers l’égalité, un pas vers la fin de la “double peine”. »
JACQUELINE GODET,
présidente de la Ligue contre le cancer
Êtes-vous satisfaite de cette avancée ?
Je salue cette avancée que l’on peut qualifier d’historique. Les personnes ayant eu un cancer pourront effacer ce « casier judiciaire cancer », redouté presque autant que la maladie elle-même. Ce protocole est un pas vers l’égalité, un pas vers la fin de la « double peine ». Toutefois, la Ligue demande aux pouvoirs publics que l’application des dispositions de ce protocole soit rétroactive et que la prise en compte soit effective, quel que soit le type de cancer.
Pourquoi a-t-il fallu attendre tant d’années pour franchir le pas du droit à l’oubli ? La faute aux assureurs ?
Ce droit est l’aboutissement d’une revendication menée par la Ligue depuis dix ans, et dont la pertinence s’accentue au fur et à mesure que les avancées thérapeutiques offrent de nouvelles chances de guérison aux personnes malades. Les assureurs peuvent s’appuyer sur des études scientifiques et savent aujourd’hui qu’on parle de guérison et non plus de rémission.
Sur quels points pensez-vous qu’il faut rester vigilant ?
Le chemin à parcourir pour que toutes les personnes ayant eu un cancer aient accès au droit à l’oubli n’est pas complètement achevé. Et parce que les projets de vie ne s’arrêtent pas uniquement à l’achat d’un bien immobilier, ce droit à l’oubli doit être élargi. Une personne guérie d’un cancer devra pouvoir demain reprendre et continuer ses études, retrouver son emploi ou un poste adapté à ses capacités, sans aucune discrimination. La Ligue, avec le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), demande que ce droit soit appliqué à d’autres pathologies chroniques que le cancer.
Aurait-on pu faire mieux ?
Seuls certains profils d’anciens malades pourront en bénéficier. Parmi eux, les adultes n’auront plus à déclarer leur maladie quinze ans après la fin des traitements. Ce délai est trop long et pénalise la personne alors que, pour certains cancers, la guérison survient bien avant. La Ligue souhaite une amélioration des grilles de référence, celles-ci permettront de recenser plus de malades bénéficiaires en fonction des progrès thérapeutiques.
« Il n’y aura pas d’impact sur les primes d’assurance. »
STÉPHANE DEDEYAN,
directeur général délégué de Generali France et président de la commission assurance de personnes de l’Association française de l’assurance (AFA)
Comment les assureurs vont-ils absorber le nouveau risque que constitue pour eux le droit à l’oubli ?
Il n’y a pas de nouveau risque, bien au contraire. L’avenant à la convention AERAS, en tenant compte de la réalité des progrès thérapeutiques et en permettant l’accès à des données de santé fiables et objectivées, va permettre aux organismes assureurs de proposer une tarification adaptée et de faire disparaître, pour certains cas identifiés, les surprimes d’assurance.
En identifiant clairement la date à partir de laquelle un futur emprunteur ne présente plus de risque aggravé de santé, nous allons pouvoir exercer au mieux notre métier d’assureur qui se base sur la connaissance du risque. Par ailleurs, nous avons un devoir de solidarité envers les emprunteurs ayant eu un cancer pédiatrique, pour lesquels, cinq ans après la date de fin de traitement thérapeutique, le risque résiduel de rechute n’a pas totalement disparu selon les données fournies par l’INCa.
Le droit à l’oubli va-t-il augmenter le coût de l’assurance d’un prêt immobilier ?
Il n’y aura pas d’augmentation. À partir du moment où il est scientifiquement établi, sur la base de données médicales fiables, accessibles et partagées entre toutes les parties prenantes, qu’il n’y a pas de risque résiduel de récidive à partir d’une certaine durée pour les cancers, il n’y aura pas d’impact sur les primes d’assurance. Nous pouvons en effet accepter ces assurés sans faire aucune différence avec les autres et sans augmentation des tarifs. Il est important que ce type de décisions ait lieu dans un processus conventionnel afin que nous soyons tous dans le même consensus. Toutefois, chaque compagnie doit assurer la rentabilité de son portefeuille ; des augmentations ponctuelles, variant d’une compagnie à l’autre, pourraient être envisagées, sans aucun lien avec la mise en place du droit à l’oubli.
Les anciens malades ayant souscrit un crédit avec une surprime pourront-ils bénéficier d’un effet rétroactif de la loi ?
La rétroactivité est impossible, car l’avancée que constitue le droit à l’oubli se base sur les progrès médicaux constatés aujourd’hui. En revanche, rien n’empêche les assurés de demander une renégociation de leurs prêts. En effet, les personnes en risque aggravé de santé qui ont déjà emprunté sont considérées comme des anciens emprunteurs classiques. Il s’agit pour eux de s’interroger, comme le font actuellement des milliers de Français au regard du niveau des taux d’emprunt, sur l’opportunité de renégocier leur prêt ou non. Chaque cas est bien particulier et doit être à mon sens soumis à un arbitrage entre deux critères :
• le taux d’emprunt et la durée de remboursement restante (comme tout emprunteur, il convient aujourd’hui de s’interroger sur les bénéfices à renégocier au regard du niveau des taux et de la part d’intérêt restant à payer) ;
• l’évolution de l’état de santé de l’emprunteur, qui peut être favorable ou non. En effet, l’emprunt a pu être souscrit avec un risque aggravé de santé lié à un cancer dont la fin du protocole thérapeutique date désormais de plus de quinze ans, ce qui est favorable à la renégociation ; mais il a aussi pu être souscrit il y a une dizaine d’années par un assuré en bonne santé qui l’est un peu moins aujourd’hui.
Quel intérêt y a-t-il, pour les assureurs, à accéder à de nouvelles données épidémiologiques délivrées par l’Institut national du cancer ?
Ces données fiables, disponibles et partagées, vont nous permettre de connaître précisément les conditions d’application du droit à l’oubli, et donc, d’exercer notre métier de façon plus juste et plus responsable. Cette avancée majeure, à laquelle nous sommes fiers d’avoir participé, suit une logique intellectuelle que nous pourrions d’ailleurs adopter pour d’autres maladies
que le cancer.
ILLUSTRATIONS SEGOLAINE LORANG