Soutien à la recherche

Recherche et innovation thérapeutique, une question de dépendance

Il y’a un peu plus de 20 ans, Patrick Mehlen (Inserm U1052, CNRS UMR5286, Univ. UCBL Lyon 1, CRCL, Lyon) et son équipe mettaient en évidence une caractéristique à l’époque inconnue de la cellule cancéreuse : sa dépendance à la nétrine. Essentielle au bon développement de l’embryon, cette protéine n’est normalement pas exprimée chez l’adulte.

 

Au fil des années, les résultats de l’équipe ont confirmé que dans de nombreux cancers différents l’expression anormale de la nétrine était vitale pour la progression tumorale. L’idée de bloquer l’interaction entre la cellule cancéreuse et la nétrine s’est imposée comme une nouvelle stratégie thérapeutique ciblée. Cette stratégie a pris corps avec la conception d’un anticorps, nommé NP 137, capable de piéger la nétrine pour en priver les cellules cancéreuses. NP137 est évalué dans plusieurs essais cliniques depuis 2017 ; deux articles publiés cet été dans la revue Nature confirment son potentiel et suggèrent même qu’il pourrait renforcer l’efficacité des traitements standards, chimiothérapie et immunothérapie[1], [2]. Durant toutes ces années l’équipe de Patrick Mehlen a bénéficié du soutien financier continu de la Ligue et de ses comités départementaux. Retour sur une aventure scientifique qui illustre le lien de dépendance entre la recherche fondamentale et le progrès en matière de traitements des cancers.

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Patrick Mehlen

Pourriez-vous nous résumer succinctement les résultats des deux articles publiés dans Nature : que nous apprennent-ils de nouveau sur le ciblage de la netrine ? que pourraient-ils impliquer à terme pour les patients ?

Patrick Mehlen : Les deux articles que nous publions avec l’équipe bruxelloise de Cédric Blanpain et tous nos co-auteurs sont extrêmement prometteurs pour l’avenir du candidat médicament, l’anticorps NP137, qui a été conçu en 2015 à partir des recherches conduites par mon équipe depuis deux décennies. Premier point, les résultats de l’essai clinique de phase 1 sur 14 patientes atteintes d’un cancer avancé de l’endomètre ont montré que NP137 n’est pas toxique et qu’il a entrainé une stabilisation de la maladie chez 8 patientes et une réduction des métastases de plus de 50 % chez une patiente. Deuxième point, peut-être plus fondamental, nous avons montré qu’en plus de tuer des cellules tumorales NP137 était également capable d’inhiber la transition épithélio-mésenchymateuse. On peut voir cette transition comme un changement d’identité de la cellule cancéreuse qui acquiert au passage de nouvelles capacités associées aux phases d’évolution du cancer les plus problématiques : la résistance aux traitements et la métastatisation. Nous avons montré sur des modèles animaux de cancer de l’endomètre que l’utilisation de NP137 pouvait resensibiliser les cellules tumorales à la chimiothérapie. Nos collègues belges ont obtenu un résultat similaire sur des animaux porteurs d’un cancer de la peau humain. On retiendra donc que NP137 montre une efficacité prometteuse et que sa combinaison à des traitements aujourd’hui standards comme la chimiothérapie et l’immunothérapie pourrait encore en améliorer les effets. C’est une piste très sérieuse dans la recherche de traitements contre les formes les plus graves de nombreux cancers, une piste que nous explorons dans un essai de phase 2 « GyNET » ouvert sur 14 sites et coordonné à Lyon par Isabelle Ray-Coquard. 

Ces travaux trouvent leur origine dans la découverte des « récepteurs à dépendance » un résultat original, voire déconcertant, au vu de ce qui était connu à l’époque du fonctionnement cellulaire. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette véritable aventure scientifique ?

P.M. : Effectivement, les premières découvertes sur la nétrine et son récepteur avaient de quoi surprendre la communauté scientifique. Aujourd’hui encore, une recherche dans la littérature scientifique permet de voir que le corpus associé à ce sujet est solide mais finalement assez restreint comparativement à d’autres thématiques. Pour se rendre du compte du chemin parcouru, il faut se rappeler que c’est en 2004 que nous avons publié, déjà dans Nature, des résultats qui montraient un lien entre l’expression de la nétrine et le développement du cancer colorectal chez la souris (3). Aujourd’hui, le blocage de la nétrine est une stratégie évaluée dans plusieurs essais cliniques, un développement d’une telle ampleur est déjà un accomplissement important et un succès en soi.

Quel rôle a joué la Ligue dans ce parcours ?

P.M. : J’interviens régulièrement à des événements, des remises de chèques, des journées scientifiques,… organisées par les comités départementaux de la Ligue. C’est pour moi autant d’occasions de rappeler l’importance de la recherche, ses particularités et ses difficultés. La recherche fondamentale est incontournable pour améliorer notre connaissance de la biologie du cancer et faire progresser les traitements mais c’est aussi un domaine qui demande de faire des choix avisés. Savoir prendre des risques est une dimension importante de la recherche et de son financement. Si la démarche scientifique « borne » ces risques, la possibilité qu’une piste séduisante ne mène à rien est bien réelle... Le fait que nous ayons déjà pu franchir autant d’étapes, que l’espoir d’une nouvelle stratégie thérapeutique devienne de plus en plus tangible, doit énormément à l’accompagnement et la contribution de la Ligue. C’est parce que les instances scientifiques de la Ligue ont su prendre le risque de nous faire confiance avec à la clé un financement continu depuis 20 ans que nous avons pu « transformer » des résultats fondamentaux et un modèle théorique en un candidat médicament prometteur pour le traitement d’un nombre potentiellement important de cancers. 

Quelles sont les prochaines étapes de « l’aventure » ?

P.M. : L’essai « GyNET » compare une chimiothérapie standard à plusieurs combinaisons : NP137 + chimiothérapie ; NP137 + immunothérapie ; NP137 + chimiothérapie + immunothérapie, dans le traitement des cancers de l’endomètre et du col de l’utérus avancés ou métastatiques. Son recrutement, soit 240 patientes au total, sera fini d’ici la fin de l’année et l’on peut tabler sur la disponibilité de ses résultats dans les derniers mois de 2024. Nous saurons alors si NP137 améliore effectivement chez l’humain les thérapies auxquelles il est combiné. Par ailleurs, NP137 est dirigé contre une cible présente dans de très nombreux cancers et les résultats que nous avons déjà obtenus concernant sa toxicité montre qu’il est très bien supporté par les patients. Ces éléments nous ont permis de lancer trois autres essais cliniques : un essai « panier » qui concernent des patients résistants à l’immunothérapie, quel que soit leur cancer, un essai sur le cancer du pancréas où l’on évalue une combinaison chimiothérapie + NP137 et un essai sur le cancer du foie où l’on évalue la combinaison traitement de référence + NP137.  L’ensemble de ces 3 essais totalise presque 200 patients et leurs résultats devraient aussi être disponibles fin 2024 - début 2025. En cas de résultats très probants nous espérons pouvoir mettre en place un ou plusieurs essais dit « d’enregistrement » avec de premières autorisations des autorités de santé pour une utilisation de NP137 à large échelle à l’horizon 2017. Pour autant, quels que soient ces résultats, « l’aventure » ne s’arrêtera pas là. Nous nous sommes focalisés sur la nétrine et son blocage par NP137 car nos moyens humains et financiers ne permettaient pas de multiplier les pistes. Toutefois, nous avons d’autres candidats qui méritent certainement que l’on prenne le risque d’un nouveau pari de recherche. L’avancement du développement de NP137 est maintenant dans le champ de la recherche clinique, ceci devrait me permettre de disposer de plus de temps pour explorer ces pistes…reprendre le chemin de la recherche fondamentale.


[1] PA Cassier et al., Nature, août 2023, doi : 10.1038/s41586-023-06367-z   
[2] J. Legrand et al., Nature, août 2023, doi : 10.1038/s41586-023-06372-2   
[3] L. Mazelin et al., Nature, septembre 2004, doi : 10.1038/nature02788

Le cheminement de recherche

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schéma recherche Mehlen
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