Alcool : les stratégies trompeuses du marketing
En France, la loi Evin 1991 encadre les possibilités de publicités de l’alcool et du tabac. Elle limite les contenus des publicités en faveur des boissons alcoolisées à leurs éléments dits "objectifs" (origine, description, mode de consommation, etc.). Les publicités doivent comporter un message sanitaire préventif "l’abus d’alcool est dangereux pour la santé" et la loi interdit les opérations de parrainage (lors de manifestations sportives, festives ou culturelles par exemple) par les producteurs de boissons alcoolisées. Seul le mécénat est autorisé.
Comment les alcooliers contournent cette loi ?
L’ajout de la mention "à consommer avec modération" n’est pas réglementaire et banalise la consommation d’alcool et les messages de prévention obligatoires sont souvent peu visibles sur les publicités. Bien que respectant les recommandations, les publicités pour l’alcool se servent de différents canaux émotionnels pour vendre leur produit : humour, séduction, pouvoir…
Malgré les réglementations autour de la publicité de l’alcool, les alcooliers trouvent des moyens pour les contourner. Et malgré une interdiction stricte de la publicité de l’alcool à la télévision et des opérations de parrainage, il n’est pas peu fréquent d’en voir !
Lors de matchs de foot diffusés à la télé
Lors de matchs de foot diffusés à la télé
Bien que le nom des marques d’alcool n’apparaisse pas clairement, l’utilisation d’un code couleur reconnaissable vient en faire la promotion déguisée.
Ce contournement de l'interdiction du sponsoring sportif est généralement effectué par l'utilisation de marques alibis. Il est explicitement utilisé par les alcooliers : « une marque peut utiliser un nom d’emprunt pour communiquer sur son univers. Cet alibi […] ne communiquera donc pas en tant que “marque d’alcool“ ». Toute la subtilité de ce genre de communication réside dans le fait que le lien doit toujours se faire dans l’esprit des consommateurs entre la marque alibi et la marque mère d’alcool.
Comment ? Grâce à la reprise des codes identitaires de la marque : typos, formes, couleurs.
Sur les réseaux sociaux
Sur les réseaux sociaux
La publicité n’est pas qu’à la télé ou dans l’espace public. En effet, les alcooliers ont également investis les réseaux sociaux, qui, grâce à des algorithmes toujours plus performants, permettent aux marques d’alcool de toucher de manière insidieuse une communauté plus jeune (et plus vulnérable), engagée et réceptive à leurs stratégies marketing. Cela, à travers des publicités qui s’immiscent dans les fils d’actualité ou entre deux stories, des contenus léchés et attractifs associant l’alcool à une émotion positive, et via des partenariats avec des influenceurs.
Selon une étude de l’EHESP réalisée dans le cadre du projet[1], 79 % des 15-21 ans indiquent voir des publicités pour de l’alcool toutes les semaines sur les réseaux sociaux, et 23 % des adolescents avouent que les publicités pour l’alcool leur ont donné envie de boire.
Une envie que l’on retrouve dans les tendances de consommation. Selon une étude de l’OFDT[1] publiée en janvier 2024, près de 15 % des élèves de 4e et 3e et plus d’un tiers des jeunes de 17 ans ont connu un épisode de binge drinking dans le mois précédent l’enquête.
Kronenbourg épinglé en 2020
Dans un arrêt du 3 décembre 2020, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur la participation de la marque de bières Kronenbourg au festival Rock en Seine. L’occasion pour la Cour d’articuler en détail l’application de la loi Evin et la participation des alcooliers à des festivals de musique, et de préciser sa position sur des questions telles que le parrainage illicite, l’usage par les alcooliers de marques-alibi (ou "naming"), au regard des exigences de loi Evin.
Lors de l’édition 2014 du festival Rock en Seine, la société Brasseries Kronenbourg (Kronenbourg), partenaire de l’association organisatrice et fournisseur exclusif de bière du festival avait notamment fait installer une scène "Pression Live" sur laquelle s’était produits différents artistes ainsi que divers supports matériels (parasols, arche, ballon aérien, drapeaux), et organisé des animations, sans utiliser la marque figurative, mais en exploitant la "marque alibi", qui en reprend les éléments caractéristiques[1].
Pour l’ANPAA (l'ancien nom de l'association Addictions France), ces éléments constituent un parrainage et des publicités indirectes illicites en faveur des boissons Kronenbourg, notamment au travers de la marque "Pression Live" dont elle relève les similitudes avec le graphisme, les couleurs de la marque de fabrique du brasseur et l’utilisation du mot pression qui rappelle le mode de consommation de la bière dans les débits de boissons.
[1] Éléments graphiques à consulter sur l'ancienne page Facebook : facebook.com/pression.live
Et la Ligue dans tout ça ?
La Ligue contre le cancer milite pour une application plus juste de la loi Evin sur la publicité pour l’alcool.
En juin 2024, avec 4 autres associations, la Ligue a porté plainte contre la RATP pour l’affichage de publicités pour l’alcool dans des stations proches d’établissements scolaires. La Ligue se positionne également pour une application de la loi Evin similaire pour l’alcool et le tabac.
La Ligue finance également l’observatoire de l’association Avenir Santé portant sur les publicités alcool sur les réseaux sociaux, en soutenant le projet ADdict.