Quand le cancer rabote l'estime de soi
Les modifications corporelles induites par le cancer et les traitements questionnent les patients sur leur identité et leur estime de soi, d’autant plus dans une société où le paraître a plus d’importance que l’être.
Estime de soi et identité
Estime de soi et identité
« Le visage est le symbole même de l’identité, souligne le docteur Laurence Rambaud, psychiatre au centre Oscar Lambret de Lille. Pendant le temps de la chimiothérapie, la perte de ses cheveux et des sourcils rend son reflet étranger. Il faut alors trouver une identité plus profonde pour se réapproprier le “qui suis-je ?” ». Cette perte d’identité de soi peut remettre en cause le sentiment d’harmonie avec soi-même et avec les autres. Un sentiment qui émerge pendant le traitement ou en rémission.
« C’est le paradoxe du cancer : les séquelles physiques sont visibles lors du traitement alors que celles plus souterraines de la maladie, déjà présentes, sont internes et invisibles », observe le docteur Rambaud. D’ailleurs, à l’annonce de la maladie, les patients sont souvent dans une logique de lutte contre la tumeur et contre leur propre corps.
Vivre avec le regard de l'autre
Pendant les traitements ou après une chirurgie, quand le corps a été modifié, voire mutilé, les patients peuvent légitimement vouloir fuir le regard de l’autre. C’est ce que le docteur Rambaud appelle "le complexe de Quasimodo", une certaine honte à affronter le regard des autres. Une honte qui est naturelle et personnelle, plutôt renforcée chez les jeunes adultes et les adolescents, pour qui l’apparence physique prend plus de place dans cette période de construction de l’identité. Les femmes peuvent également souffrir du regard de leur conjoint ou conjointe car elles se sentent abîmées dans leur identité féminine. On parle alors de blessure narcissique.
« À la blessure organique s’ajoute une blessure narcissique liée à la mutilation et fréquemment vécue comme un outrage que le malade a honte d’aborder ; on peut vivre un défaut d’identité secondaire, qui peut amener une demande de reconstruction, de réhabilitation pour restaurer l’image abîmée. En parler avec l’autre, avec un psychologue ou un psychiatre, est nécessaire pour débloquer cette situation », explique la psychiatre lilloise. D’autant plus que le regard de l’autre peut être bienveillant mais que la personne se sent tellement mutilée, qu’elle ne le voit pas ainsi. Il y a alors dissociation entre le regard de l’autre (bienveillance) et son propre regard (honte). C’est aussi vrai pour les séquelles invisibles de la maladie que seul le patient connaît ou perçoit. C’est le cas, par exemple, à la suite d’une hystérectomie (ablation de l’utérus) ou d’une prostatectomie.
Se réapproprier son corps et l’estime de soi à son rythme
Se réapproprier son corps et l’estime de soi à son rythme
Au-delà d’une société de plus en plus centrée sur l’apparence physique, le docteur Rambaud dénonce une autre injonction sociale, celle du positivisme absolu. « Même pendant un cancer, il faut se montrer positif, dans une posture de guerrier ou de guerrière. Mais c’est ajouter une culpabilité sur les épaules des personnes malades qui ne le sont pas ! »
Elle se souvient d’une patiente qui, pendant le traitement, ne savait plus comment se comporter avec ses proches, comme si son identité s’était dissoute au fil du traitement. Elle se culpabilisait de ne pas renvoyer une « bonne » image… L’injonction au positivisme est néfaste quand elle passe sous silence la souffrance physique et psychologique, « une souffrance saine dans le sens où nous ne sommes pas des machines, l’humain est vulnérable », renchérit-elle.
Retrouver l’estime de soi en pratique
- Parler à ses proches, à son ou sa partenaire, à un ou une amie de ses émotions, de ses craintes.
- Évoquer toutes ses questions sur le corps, son identité à son médecin ou à un membre de l’équipe soignante.
- Demander un soutien psychologique auprès d’un psychiatre ou à un pyscho-oncologue si on en ressent le besoin.
- Participer à un groupe de soutien pour échanger avec des personnes qui vivent ou ont vécu avec un cancer.
- Faire une activité que l’on juge agréable. L’objectif est de retrouver des ressources dans son corps pour se réaliser et conserver l’estime de soi.
- Se laisser le temps d’accepter sa nouvelle identité.
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