Denis Dupoiron lauréat du prix Axel Kahn 2023
La Ligue a remis pour la deuxième fois le Prix Axel Kahn le mercredi 13 décembre au Collège de France. Ce prix d’une valeur de 50 000 € récompense cette année trois chercheurs et cliniciens dont les travaux et réalisations ont eu un impact majeur sur la connaissance des mécanismes de la douleur liée aux cancers, la prise en charge de ses formes réfractaires et le développement des soins palliatifs.
Découvrez Denis Dupoiron au détour de deux questions !
Quel regard portez-vous sur la situation de la prise charge des douleurs liés au cancer ?
Denis Dupoiron : L’augmentation de l’incidence des cancers d’un côté et de l’autre les progrès des prises en charge diagnostiques et thérapeutiques font qu’un nombre croissant de patients vit aujourd’hui de plus en plus longtemps avec un cancer. Ces progrès sont remarquables mais ils impliquent aussi qu’un nombre important de personnes est confronté aux douleurs liées aux cancers. On estime ainsi qu’entre 10 et 20 % des patients de stade avancé souffrent de douleurs réfractaires, qui ne sont pas soulagées par les thérapeutiques classiques ou qui présentent des effets indésirables graves à l’administration d’antalgiques par voie systémique. Traiter efficacement ces douleurs constitue donc un challenge essentiel pour l’amélioration de la prise en charge globale de la maladie, un changement de paradigme est nécessaire pour que les années de vie gagnées le soient dans les meilleurs conditions possibles. Malheureusement, il y a encore, en France, trop peu de structures dédiées spécifiquement aux douleurs du cancer. Il est vrai que leur prise en charge est complexe et demande un très fort investissement personnel. Les suivis sont souvent rapprochés et les traitements doivent être fréquemment adaptés. Avec plus de professionnels adéquatement formés et motivés par ces questions nous pourrions avancer beaucoup plus vite dans la mise en place des prises en charge les plus efficaces. La formation à ce niveau est essentielle et l’on peut déplorer qu’elle ne soit pas plus développée dans notre pays.
Quelle est la situation de l’analgésie intrathécale dans ce contexte ?
Q.D. : L’analgésie intrathécale (voir encadré) est une stratégie antalgique qui peut se révéler très efficace pour traiter les douleurs chroniques réfractaires vis-à-vis desquelles nous ne disposons pas de solutions satisfaisantes. Pour ce qui est de son utilisation concrète, la France est très certainement le pays européen le plus avancé. Pour ma part, j’ai commencé à l’utiliser en 2005 dans le cadre d’une activité de recherche. Ensuite, à partir de 2009, son remboursement a vraiment marqué le départ du développement de ce que nous avons mis en place à l’Institut de Cancérologie de L’Ouest à Angers (ICO). D’ailleurs, l’ICO se positionne aujourd’hui comme le premier centre européen pour l’analgésie intrathécale et potentiellement dans le trio de ceux les plus actifs au niveau mondial. Quoiqu’il en soit, le nombre de patients qui bénéficie de l’analgésie intrathécale en France reste beaucoup trop limité. Le développement de l’analgésie intrathécale est clairement identifié par la DGOS et L’INCa comme une priorité pour le traitement des douleurs du cancer et pourtant il existe toujours des régions où le recours à la technique n’est pas possible faute de structures et de personnels pouvant implanter et assurer un suivi adéquat. On peut estimer que sur 10 patients pour lesquels la technique est recommandée moins de 1 en bénéficie effectivement. Par ailleurs, l’accès à la technique quand il existe est souvent trop tardif. L’analgésie intrathécale a radicalement changé la donne pour certains patients, cette efficacité et l’amélioration de la qualité de vie qui en découle font que cet accès restreint et les inégalités qu’il entraine sont frustrants et difficilement acceptables. Je pense que les malades pourront bénéficier d’un accès plus large à la technique si l’essor d’expériences comparables à la nôtre est facilité.