Rencontre avec Anne, diagnostiquée d'un cancer du rectum
Diagnostiquée d’un cancer du rectum en 2016, Anne, bénévole déléguée à la mission sociétale au sein du comité départemental de la Sarthe nous raconte son parcours. Patiente en situation monoparentale et mère de deux filles, elle revient sur ce long combat contre la maladie dont elle a dû faire face.
Le portrait de Anne
Pouvez-vous nous dire en quelques mots qui êtes-vous ?
Je m’appelle Anne et j’ai 48 ans. J’ai été diagnostiquée d’un cancer du rectum en 2016. J’étais alors ingénieure et maman solo de deux filles qui avaient à l’époque 10 et 7 ans. Je suis désormais bénévole déléguée à la mission sociétale au comité départemental de la Sarthe.
Vous avez été touchée par la maladie il a y 8 ans, quelle était votre situation à l’époque ?
Je travaillais à plein temps et je m’occupais seule de mes enfants. J’essayais de jongler du mieux que je pouvais entre les besoins de mes enfants, grandes prématurées toutes les deux, et mon travail. À ce moment, ma santé, c’était bien la dernière roue du carrosse !
Quelle incidence physique cela a-t-il eu ?
À l’issue des traitements du cancer, incluant chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie, je n’ai plus de rectum. Toute la région pelvienne (les organes proches du rectum) est grandement endommagée.
On ne s’en rend pas compte avant de ne plus en avoir, mais le rectum est un organe socialement vital.
Aujourd’hui, pour avoir une vie sociale ou en tous cas pour avoir quelque chose qui s’y apparente, je passe entre une et deux heures par jour à réaliser moi-même un soin infirmier. Cela pose également des problèmes d’organisation familiale car je dois monopoliser l’unique salle de bain longuement tous les jours.
Je suis en permanence épuisée, mais ce soin, même s’il est invasif et contraignant, me permet de ne pas avoir de stomie. Je dois par ailleurs m’astreindre à un régime alimentaire strict.
Autant dire que me proposer de sortir sans m’avoir avisée bien en amont, ça va être très compliqué voire impossible !
Quelles ont été les principales difficultés dont vous avez dû faire face ?
Même si j’avais de la famille assez âgée touchée par le cancer, je n’avais aucun facteur de risque ou de prédispositions génétiques particulières. Ma toute première difficulté a donc été d’identifier les symptômes, d’aller faire une coloscopie et de poser un diagnostic.
Ma situation de parent isolé a considérablement complexifié ma prise en charge. Au moment du diagnostic, je ne me suis pas demandée comment j’allais m’en sortir, mais comment m’organiser avec mes enfants pour qu’elles aient le moins de modifications et d’impacts dans leur quotidien.
Je me suis posée mille questions :
- Comment m’occuper de mes filles tout en faisant de la chimiothérapie, de la radiothérapie et en étant opérée du rectum ?
- Comment faire alors que l’opération impliquait que je reste longuement hospitalisée ? (Je suis restée quasiment 2 semaines en soins intensifs)
- Comment faire pour que ce ne soit pas la double peine pour mes enfants ? Être loin de leur école, déscolarisées, dans un univers éloigné de leur maman et de leurs chambres ? Et, si je décédais... ?
Pour ma part, ma sérénité de maman et le bien-être de mes enfants étaient un élément essentiel à ma guérison.
Force est de constater que le système social ne prévoit pas de solution adaptée. Alors, oui, on peut avoir une technicienne de l'intervention sociale et familiale. Malheureusement, cette dame était perçue par mes enfants comme une intruse et de ce fait, mes filles me sursollicitaient. Malgré les cicatrices, les brûlures de la radiothérapie et les diarrhées violentes, il fallait que je sois debout à faire les repas et que je m’assois à table pour que mes filles acceptent de manger. J’ai abandonné rapidement, je n’avais pas besoin d’une spectatrice chez moi !
Concernant l’hospitalisation complète pour la résection du rectum, je n’ai pas trouvé de solution adaptées via les 3 assistant·es sociales que j’ai vues, ni ma mutuelle, ni mes assurances. Ma principale difficulté à ce moment-là était donc de trouver une famille d’accueil.
Tout au long de mon parcours, j’ai malgré tout fait de belles rencontres qui m’ont permise d’avancer dans les réponses que je cherchais :
- au moment du diagnostic : j’ai eu la chance, par le biais d’une ancienne collègue de connaître une association d’accompagnement au deuil qui a pu intervenir pour accompagner mes enfants dans l’annonce de la maladie et la gestion de leurs émotions ;
- pendant les lourds traitements : je me suis attelée à rédiger mon testament et mes directives anticipées. J’ai aussi eu la chance qu’une bonne partie des traitements se fassent durant l’été. Les journées de traitements étaient très intenses : je prenais ma chimio les matins puis j’emmenais mes filles en centre de loisirs pour la journée. En milieu de journée, j’allais faire la radiothérapie et le soir, je récupérais les filles pour ensuite reprendre ma chimiothérapie ;
- concernant l’hospitalisation, j’ai trouvé une famille d’accueil par mes propres moyens.
Après avoir pas mal cherché, j’ai fini par envoyer un mail à la principale adjointe où ma grande était scolarisée en 6ème. C’est par son biais que j’ai été mise en relation avec une maman d’école qui venait de perdre son mari d’un cancer. C’est elle qui s’est proposée de prendre mes enfants pendant 2 semaines. C’est une femme qui venait de perdre son mari d’un cancer et qui avait déjà en charge ses 5 enfants.
Mes filles ont pu continuer à aller à l'école avec leurs copines et rentrer le soir dans une famille qui habitait notre quartier. Je mesure la chance que nous avons eue dans cette situation quasi désespérée.
Concernant votre prise en charge, quelles ont été les grandes étapes ?
La période du diagnostic avec les biopsies sous anesthésies générales, la chimiothérapie, la radiothérapie, la chirurgie et la chimiothérapie post-opératoire.
Pensez-vous que le fait d’être une femme ait joué un rôle particulier dans votre parcours de soin ?
Oui, sans aucun doute.
En tant que maman solo qui travaille, je n’avais vraiment pas le temps de me préoccuper de ma santé. Ce qui a, pour ma part, retardé le moment où je me suis dit que les symptômes que j’avais méritaient une investigation plus poussée. Cela a bien évidemment eu une incidence sur le diagnostic.
Ensuite, la région où se trouve le rectum est une région cruciale pour la femme, elle vise la maternité mais aussi la vie sexuelle des femmes.
Je peux, par exemple, vous raconter la première fois que j’ai été contrainte de passer un IRM. Pour le rectum, cet examen implique l’injection de produit de contraste non seulement dans le bras mais aussi par voie rectale. Personne ne m’avait prévenue. Je n’avais eu l’information ni de la part du prescripteur ni par le manipulateur avant l’examen lui-même. Après avoir eu le liquide de contraste dans le bras, il est arrivé avec le contenant du liquide à mettre dans le rectum. « On ne vous a pas prévenu ? Mais c’est pourtant comme ça que cela doit se passer madame ». J’étais en état de sidération. Je suis sortie de l’examen en état de choc et je me questionne encore sur la notion de consentement dans ce cas...
Il y a eu aussi cette fois où je me plaignais à un anesthésiste des conséquences des traitements du cancer notamment de mon quotidien sans rectum. À l'époque je ne bénéficiais pas du dispositif de soin infirmier et je passais entre 5 et 8h par jour coincée aux toilettes. L’anesthésiste a eu cette phrase que j’ai trouvé scandaleuse : « mais madame, estimez-vous heureuse d’être en vie pour votre mari et vos enfants ». De colère, je me suis alors murée dans le silence parce que c’est quand même lui qui a des possibilités de réanimation si l’intervention ne se passe pas bien... Je n’ai rien dit mais je pense que mon regard devait signifier beaucoup.
Et puis cette fois, tout au début de mon parcours, où le premier chirurgien que j’ai vu me faisait le retour de la RCP (Réunion de Concertation Pluridisciplinaire) : « madame, vous êtes une femme éduquée, vous pouvez comprendre ». Cela m’a grandement interrogée sur la façon dont cet homme percevait les femmes... Je n’ai évidemment pas voulu que ce soit lui qui m'opère...
Toutes ces fois où j'ai dit : « j’ai mal, mais tellement mal », et où on m’a répondu : « je ne comprends pas que vous ayez si mal, ce n’est pas possible ... ».
Devant autant d’évènements, je me suis questionnée, notamment dans ma façon de communiquer sur ce que je pouvais ressentir. Mais est-ce que le problème venait uniquement de moi ?
Tout m’a semblé fluide et simple lorsque j’ai eu une femme oncologue remplaçante. Je me suis enfin sentie comprise dans les douleurs et ce que je ressentais, les violentes diarrhées, la ménopause brutale. Malheureusement, elle suivait les cancers du sein donc je n’ai pas pu la revoir.
Selon vous, quels sont les axes d’améliorations possibles à ce niveau ?
De mon point de vue de patiente, il faudrait établir un bilan social systématique. Pourquoi ne pas élaborer un plan d’accompagnement social spécifique à la maladie cancéreuse et qui pourrait être mis à jour durant le parcours ? Il y a bien une consultation d’annonce, pourquoi ne pas prévoir une consultation de bilan social avec des professionnels ad’hoc ? Le médecin traitant a certainement un rôle central à jouer.
Je pensais aussi à la mise en œuvre d’un réseau d’entraide entre familles puisqu'aucune solution adaptée n’est proposée par le système social français pour la garde des enfants dont les parents sont atteints de cancer. Mais, là, je suis peut-être utopiste...
Comment avez-vous été accompagnée tout au long de la maladie ?
J'ai été soutenue par mon médecin traitant. J’ai tissé un lien essentiel à ma survie. Durant les traitements, j’ai continué à gérer mes filles. Si elles étaient malades, il me facilitait grandement la prise de rendez-vous pour elles. Je n’attendais jamais en salle d’attente, il prenait mes appels téléphoniques systématiquement. Il a été d’un soutien efficace et indéfectible.
J’ai eu aussi la chance d’avoir un ambulancier avec vraiment beaucoup d'humour lors des traitements. Il faisait les allers-retours pour mes séances de radiothérapie. Il me forçait gentiment à marcher malgré ma fatigue.
En post-cancer, j’ai rencontré une kinésithérapeute fantastique qui m’a aidé à reprendre confiance en moi dans ce corps qui dysfonctionne.
Pour mes enfants, j’ai eu la chance que l’équipe pédagogique du collège soit vraiment attentive et bienveillante. L’équipe a été particulièrement vigilante. La maman qui a pris en charge mes enfants pendant mon hospitalisation a été tout simplement fabuleuse. Nous sommes désormais très amies et nous continuons de nous voir régulièrement.
Avez-vous reçu de l’aide de la Ligue contre le cancer ?
Au tout début de mon parcours et pendant les traitements, j’ai uniquement été dans le rythme effréné de l’action et de la résolution des difficultés logistiques pour mes enfants.
Ce n’est donc qu’une fois en rémission que je suis allée faire quelques séances de sophrologie à la Ligue contre le cancer. C’est comme ça que j’ai eu les informations sur les missions et toutes les offres de la Ligue.
En tant que patiente ressource du comité départemental de la Sarthe, quel est votre rôle ?
Je suis bénévole et j’ai été formée par la Ligue pour devenir patiente ressource témoin. Cela signifie que je témoigne auprès de professionnels de santé en formation. Ces séances sont encadrées par un modérateur ou une modératrice.
Je suis allée à maintes reprises en IFSI. C’est particulièrement riche. Les questions des étudiants sont toujours pertinentes et j’ai à cœur de partager mon expérience (subjective) de la maladie. Concernant le dispositif "patient ressource", leurs retours sont toujours très positifs.
Un des nombreux messages que je passe est que la guérison du patient peut se faire, si et seulement si, celui-ci occupe une position centrale dans son parcours de soins.
Pourquoi avoir décidé de vous en engager auprès des personnes touchées par le cancer ?
Il est incontestable que mon expérience du cancer est le point de départ de ma seconde vie. Cette vie, cette expérience, je les veux utiles pour faire bouger les lignes ! La société actuelle doit encore évoluer dans son rapport à la maladie cancéreuse. Je souhaite y contribuer.
Je suis quelqu’un qui s’engage assez naturellement et pleinement dans les causes que je pense fondamentales. La Ligue contre le cancer porte des valeurs humaines et égalitaires auxquelles je crois. C’est donc en toute logique que j’y suis engagée en tant que bénévole.
Si vous aviez un message à faire passer, lequel serait-il ?
Ce message, je le verrai plutôt sous une forme de questionnement : « et si on apprenait à prendre soin de nous, tous ensemble ? ».
Vous n'êtes pas seul(e)s
Présente sur tout le territoire, la Ligue contre le cancer propose des services d’accompagnement adaptés visant à améliorer votre prise en charge et votre qualité de vie pendant et après la maladie. N'hésitez pas à contacter le comité départemental le plus proche de chez vous !
Témoignage vidéo
Nous ne sommes pas tou.te.s égaux face à la maladie
Aujourd'hui, les femmes représentent 80 % des familles monoparentales (Insee) et connaissent de nombreuses barrières : de l’accès au dépistage, qui peut être plus tardif, à une prise en charge sociale et médicale inégale et inadaptée.
Découvrez la vidéo de Anne, publiée à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars dernier.